Après "Comment entrer dans la chambre où l'on est depuis toujours, suivi de la Lumière est dans les choses", Oiseau et autres poèmes est le second recueil de poésie que je lis du grand écrivain Israël Eliraz.
Romancier et auteur dramatique, devenu plus tard poète, Israël Eliraz, n'a cessé dans ses poèmes d'interroger le langage, ses potentialités mais aussi ses limites dans une langue - l'hébreu moderne - traversée par les influences de l'hébreu ancien et biblique.
Dans Oiseau et autres poèmes, un court recueil en trois parties, le poète israélien tente une description du besoin d'écrire (et de décrire), de ce qui compose le regard, son mouvement d'approche vers l'objet d'observation et ce qu'il restitue ensuite par les mots.
La première partie du livre est consacrée à l'oiseau. Dans des textes simples, lapidaires, Israël Eliraz fait du petit animal à plumes l'objet de son regard. Tel un motif, il le nomme dans la perception qu'il en a (os, plume, ongle et chant) mais aussi dans son mouvement, dans son vol tendu vers l'ailleurs (« Tes ailes de voyage sont emplies de poussière, de chair et de sang »), dans ce déplacement entre terre et ciel, son corps inventé par la distance, la hauteur, le vent et la lumière. le voilà qui dépasse notre regard, qui s'échappe de notre sensation des choses :
« Respecte
cette espèce
de mouvement
permettant
aux ailes
de porter entre elles
le muscle tendu
de l'effort
infatigable
flèche lancée
vers un grain
lointain
pour se faire
oiseau
qui donne âme
au monde »
La seconde partie du recueil s'intitule Yekhiam, du nom d'un kibboutz situé en Galilée, au nord d'Israël, tout proche du Liban. Cette suite de poèmes est inspirée d'aquarelles qu'a réalisées sur la région le peintre Josef Zaritzsky. À l'instar des motifs des peintures, les vers des poèmes vont librement, créent entre eux des résonances, une réalité sous-jacente.
La vie du kibboutz, son histoire, ses paysages, ses couleurs, sa lumière servent une écriture tout en réserve dans lesquelles les images semblent morcelées, comme repliées sur elles-mêmes. Ces fragments d'images font pourtant remonter des impressions, une parole incurvée par le réel.
« Se hausser
sur la pointe des yeux et s'apercevoir :
même si la nature
fait autorité
la couleur s'étire ce matin
jusqu'à la limite
où la couleur même
n'est plus fiable,
tantôt là
tantôt pas.
Je cherche une couleur avant
la couleur qui pousse vers
l'ouvert non encore mesurable
ou insaisissable.
Ne pas expliquer l'amour
pour le milieu qui émane de toute chose.
C'est pour moi un casse-tête »
Dédiée au grand poète André du Bouchet, Jérusalemville est la dernière partie du recueil. Dans quelques poèmes, toujours en distiques, Israël Eliraz évoque la ville millénaire dans de subtiles impressions. L'écriture paraît ici encore fragmentée mais demeure toujours intime, à mi-chemin entre intention et tempérance.
« Je me rappelle un mur de miel
et une moulure de nuages perdus
Je ne fais plus confiance
aux mains menues
de cette mémoire stellaire.
Me voici maintenant pareil à qui
dégage sa main
d'une main
pour la poignée d'une porte
à mi-portail
de bois s'ouvrant
au coeur d'un rêve »
Oiseau et autres poèmes offre une belle entrée dans l'oeuvre poétique d'Israël Eliraz. Comme les fragments d'une parole, son écriture fait naître toutes les nuances d'une poésie, que je trouve singulière et très attachante.
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