« My Lan, Q4» griffonne-t-il sur un bout de papier qu’il range dans son portefeuille. «Elle travaille au marché du quatrième arrondissement ; je devrais pouvoir la retrouver, se dit-il, mais je ne veux pas qu’elle ait l’impression que je la harcèle.... J’irai voir dans 2 jours... Ou peut-être demain...» hésite-t-il. Il se ravise : «Non. Après-demain... Bah ! On verra... »
Les explications, il les entend de la bouche de sa fiancée qui traduit au fur et à mesure l’incroyable nouvelle : Abel Demay, le grand-père de Yann est ce Français grâce auquel le père de Lưu Ly a échappé à la mort dans son enfance ! Le collier de Lưu Ly est celui que porte la grand-mère de Yann sur la photo. Elle l’avait elle-même donné à celle de la jeune femme ! Yann est abasourdi. Ainsi, si les deux jeunes gens peuvent aujourd’hui se marier, c’est aussi parce qu’Abel a sauvé la vie de Thìn qui, lui-même, a sauvé celle de Yann !
L’Ill était une fois sur la route reliant Rome à Aix, quelque part dans la plaine du Rhin. La rivière est toujours là d’ailleurs. A cette époque régnait Charles dit «Le Magne» car il était toujours pressé. Ce monarque avait (comme de nombreux autres) un goût prononcé pour l’équitation : on le trouvait souvent à cheval sur son bourrin, sur les principes ou sur des courtisanes attirées par sa position et séduites par celles qu’il pratiquait.
Or, Charles rencontrait des difficultés avec les Saxons qui, vus sous certains Angles, peuplaient déjà l’Ile de Bretagne depuis bien 3 siècles, y rendant la situation plus rock’n’roll qu’au temps des Celtes. Sur le continent, en revanche, ils persistaient à fausser les plans de son règne franc, notamment en venant l’enquiquiner sur ses terres palatines (débarrassées de l’influence romaine)
- Chez nous on dit « l’argent n’a pas d’odeur »... Mais jadis en France il y avait aussi beaucoup d’industries ; surtout le textile, l’acier… Mais les gouvernements les ont laissées aller à la dérive… Sauf dans les cas où l’état était directement intéressé comme la Seita, par exemple.
- La Seita ?
- L’industrie du tabac. D’ailleurs, pour toi qui est dans la communication, c’est un bon exemple : Mon oncle m’avait raconté que sa première cigarette ça a été à l’âge de 4 ans…
- Tu plaisantes ? s’offusque Tara.
- Non non ! C’était des cigarettes en chocolat, bien sûr ! Mais attention : avec un papier blanc autour, voire avec une imitation de filtre, et vendues dans un paquet ressemblant parfaitement aux vrais pour habituer le futur client dès le plus jeune âge. D’abord les formes et les couleurs, l’impression du bon goût ; ensuite, apprendre les bons réflexes : à l’école pour la fête des pères ont fabriquait des cendriers ou des boites décoratives pour les allumettes et, pour finir, lors du service militaire, avec chaque ration, le soldat recevait un paquet de cigarettes, un vrai cette fois et gratuit (question d’investissement). Ainsi, tout au long de sa jeunesse, l’homme était formé pour devenir un fumeur. A côté de ce stratagème, les autres pubs font pâle figure ! Et cette industrie fonctionnait du tonnerre ! Tu n’imagines pas le nombre de gens qui ont pu vivre grâce au tabac !
- Tout de même, modère Arthur, c’est mieux maintenant qu’on encourage les gens à arrêter de fumer, non ? Peut-être que ton oncle a travaillé à la Seita et il a maintenant une bonne retraite mais…
- Non. On peut dire qu’il a travaillé pour la Seita avec toutes les cigarettes qu’il a consommées. Mais la retraite, il ne l’a pas connue ; il est mort avant, d’un cancer du poumon…
Ceux que Dieu a unis, nul ne peut les séparer.
Sauf l'amant ou la maîtresse.
...
Il fit donc appeler le chambrier, le vieux bouteiller, l’archichapelain, le grand sénéchal et un certain nombre d’autres individus à dénomination typique pour leur confier les tâches et missions à accomplir durant son séjour dans cette région que l’on n’appelait pas encore la Lorraine puisqu’elle se fondait dans un vaste territoire englobant l’Alsace, la Champagne, les Ardennes et bien d’autres pays encore en constituant le royaume des Francs dans une fusion qui ne plaisait pas à tout le monde.
...
Le goutte à goutte noir a cessé. Il ôte le filtre en aluminium, le pose dans la coupelle que forme le couvercle retourné sur la table, verse ensuite une cuillérée de sucre fin dans le verre et remue son café en observant le trafic au carrefour.
Le flux, dense à cette heure de la matinée, emporte les voitures peu nombreuses mais toutes de modèles récents dans le flot des « xe honda » - ces cyclomoteurs adoptés par la majorité des Vietnamiens - qui se croisent et se doublent presque sans interruption, ponctuant leur course de coups de klaxon et contournant les quelques piétons qui traversent d’un pas mesuré mais sûr. Dans cette circulation, il distingue un livreur conduisant l’un de ces deux-roues à l’arrière duquel sont empilés d’innombrables bidons vides - à l’image d’une roue de paon - un serveur, perché sur un vélo, qui passe en tenant sur le plat de la main son plateau surmonté d’un bol, ou encore une femme poussant son chariot le long du trottoir jusqu’à la placette en bout de rue où elle va s’établir pour vendre son « xôi », une spécialité de riz gluant.
- Y a des bananes à Split ?
- Pourquoi pas ? Comme on peut trouver du bar à Puth ou des falafels à Sion...
Au marché couvert du quatrième arrondissement, il se souvient y avoir été l’une ou l’autre fois avec sa mère, il y a plus d’une douzaine d’années ; elle y connaissait une ancienne camarade de classe qui vendait des « sinh tổ ». Il appréciait beaucoup ces boissons faites de jus de fruit mixé avec du lait concentré et de la glace pilée. Son parfum préféré, la papaye, c’est là qu’il l’avait goûté la première fois.
Le quartier a un peu changé. Moins que le centre-ville, mais certaines rues ont été élargies et un immeuble récent fait face au marché. Yann gare son deux-roues à côté des autres devant l’entrée de la bâtisse grise, une construction ancienne au pied de laquelle débordent les échoppes. L’émotion le gagne. Cette fois, il y vient seul. Sa mère n’y reviendra plus ; la maladie l’a emportée sept ans auparavant.
Ah, le temps ! Combien de philosophes et de physiciens l’ont-ils déjà pris pour le définir ou le mesurer à coup de théories et d’appareils en tous genres ? Moi-même, qui ne suis bardé d’aucun diplôme légitimant la qualité de mes réflexions, j’ai déjà abordé le sujet comme un pirate le ferait avec un vaisseau royal en m’attaquant à ce prince de l’instant, cet empereur du moment !
Las ! J’ai échoué ! Échoué sur une plage de sable fin lumineux qui, périodiquement, m’a ballotté en tous sens, me mettant dans des situations renversantes jusqu’à ce que je me fusse rendu compte de ma condition : j’étais prisonnier d’un sablier.