Citations de Jacqueline Léger (29)
Si de deuil en deuil... de fantôme en fantôme... nous nous faisons « archéologues » des cryptes clandestines... Si, guetteurs d’aubes, de silence en silence... de passion en passion... nous accordons leurs blancheurs et y joignons toutes les couleurs... nous marcherons sur des chemins d’espoirs... nous déploierons les horizons...
Créer pour délivrer le silence... Créer pour se désengluer... Au fragment mélancolique, répliquer par des missives, par la totalité d’un livre.
La lecture, comme l’écriture, engagent à dénouer le deuil, à dévoiler les secrets. L’écriture décrypte les vestiges enfouis. L’écriture met en forme le magma chaotique, pour sortir enfin des engluements. « Alors écrire nécessité ».
l’enfant triste devient assistante sociale, l’enfant triste devient médecin, l’enfant triste devient psychanalyste...
J. B Pontalis interroge ce va-et-vient : « L’alternance de l’humeur ne serait-elle rien d’autre que l’alternance de la mère, cette mère dont nous avons cru capter l’attention, le regard, tout l’amour, et qui soudain est occupée par autre chose, absorbée par on ne sait quoi et, plus intolérable, par elle ne sait quoi, comme égarée, au point de nous exclure de « notre » monde pour nous rabattre sur un réel inanimé ? » Pour un balancement qui serait comme un « fort-da » de la mère, sa présence-absence, son « horla ».
L’écriture recolle les brisures du miroir. J’ai commencé tôt. Miroir d’encre, miroir qui me dit...Au fond de la page, l’ancre des mots.
« Chez les adolescents et les adultes ayant vécu l’expérience de « révélations » sur leurs origines, leurs parents ou leurs ancêtres, on constate, une fois le premier choc passé, que le fait que les choses soient dites permet de se remémorer toutes sortes de souvenirs, de fragments de conversation, d’attitudes enregistrées mais non interprétées, de manifestations somatiques, de décisions parfois importantes prises en toute méconnaissance, fragments disparates d’un puzzle auquel il manquait une pièce essentielle pour appréhender l’ensemble. » résume Caroline Eliacheff de toute une démarche. Ainsi, le miroir prend du tain. C’est ton parcours depuis le prénom de ta mère jusqu’à raconter ton histoire.
En quête d’une source, Narcisse se mire. Et autant, l’analysant de Joyce Mac Dougall... « Ainsi se reconnaîtra-t-il sujet, ayant sa place et sa valeur propre, à travers un regard qui parle. »
Un miroir thérapeutique permet de résoudre l’angoisse, il la lie à la représentation de l’absence
Le désespéré Cioran connaissait cette sensation : « On se dilate intérieurement jusqu’à la folie, au-delà de toutes frontières, en marge de la lumière, là où celle-ci est arrachée à la nuit vers un trop plein d’où un tourbillon sauvage vous projette tout droit vers le néant. »
Interpellons, avec André Green, un analyste créatif, « vivant, intéressé, éveillé par son analysant », témoignant de sa vitalité. Un analyste vif, pour que les fantômes meurent, pour que tous les analysants « hantés » ressuscitent.
« Vous avez toujours eu besoin de l’étoile d’une voix dans la chambre de vivre. » Christian Bobin.
Quand les fantômes sont enverrouillés au caveau, ils ne peuvent guère se « construire » sur le divan, annotait Nicolas Abraham. Il faudrait une bonne oreille pour les déceler.
D’après Piera Aulagnier, quand l’analyste reste « en dehors du coup », ne sait voir, entendre ce qui se passe, il ne sait accompagner « dans cette plongée dans les profondeurs », et son analysant reste en quête de sens ! Son regard absenté, il reste miroir blanc, miroir aveugle, miroir opaque. Tu sollicitais ton analyste sur ce qu’il pouvait ressentir. Sa non-réponse, vraisemblablement, t’engluait encore.
Voici cet Horla décrit par J.B. Pontalis : « Dans son regard qui a fait retrait, nous ne voyons plus un miroir dans lequel nous pouvons nous reconnaître ; nous voyons de l’ailleurs, de l’étrange, nous découvrons une absence sans remède. »
Après la séance « cruciale », je passais des séances à pleurer et à me bercer doucement, dans la nostalgie, le deuil. Car ce que la mélancolie avait « gelé », mis entre parenthèses, c’était une expérience catastrophique, suppose Marie-Claude Lambotte, citant Henri EY.
Aujourd’hui, je sais que sa sérénité superficielle et presque ridicule cachait une terreur dont peu connaîtront la profondeur.
En cette période où tu cherchais le regard de ton analyste et ne le trouvais guère, « le fond des yeux tout renversé, perdu, ça fait une peau arrachée », aurait dit Geneviève Haag des sources de la vie.
Peter Pan ne change pas, ne grandit pas. « Enfant triste »... Il tentait de construire l’immuable.
Sur les cimes de son désespoir, Cioran… « Si l’on continue cependant à vivre, ce n’est que par la grâce de l’écriture, qui en l’objectivant, soulage cette tension sans bornes. »
C’est l’habillage en mots de frayeurs sans nom, de terreurs sans fond. Terreur primitive et secrète.
Les deuils ensecrétés se taisent et hantent longtemps.