Jacques Bertin

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Qu’avons-nous fait ? Qu’avons-nous pu ?
Le monde est passé devant nous
Comme allant à la mer, le fleuve
Qu’avons-nous fait ? Qu’aurions-nous pu ?
- Oh, faites-moi subir l’épreuve
Au destin la passion j’oppose
Et mes vingt ans au cours des choses
Vingt ans déjà, je n’ai rien pu

C’est vrai pourtant je vous ai vus
Dans l’eau jusqu’aux genoux pourtant
Avançant contre le courant
Tandis qu’on criait de la rive
"Prends garde le sable est mouvant
Toute foi est une dérive"
Des milliers de poissons d’argent
Vous faisaient une cour naïve

Le fleuve ment, le fleuve va
Il a ses mouvements profonds
Lèvre molle au vent des chansons
On croit s’y baigner, on s’y noie
Le noyé pense, allant dans l’onde
Gouverner le courant, le monde
Entraine l’homme et l’homme apprend
À être l’épave du temps

Le long séjour dans l’eau lui a
Mangé les yeux, fait un visage,
Vous n’êtes déjà plus si beaux
Vous êtes vieux. Sommes-nous vieux ?
Nous avons cru à l’espérance
Nous allions dans le fleuve immense
Comme à la belle destinée
Où brillaient d'impensés soleils

Soleils, adieu ! Nous sommes vieux
Nous sommes pareils à nos vieux
Fourbus, défaits, nous sommes faits
Qu’aurions-nous pu ? Qu’avons-nous fait ?
Souvenons-nous allant dans l’onde
Avec nos visages mangés
Que nous gouvernerons le monde
Indulgents comme des noyés

Soleil et vous mes espérances
Merci pour ce cortège lent
Du plus lointain de mon enfance
Qui m’emmène vers l’océan
Ceux qui sont restés sur la rive
Arbres morts au vent immobile
Grinçant dans les éternités
Voient-ils le ciel bleu des noyés ?

Cette folie qui nous délivre !