Suite fraternelle
Extrait 6
Je te reconnais bien sur les bords du fleuve superbe où se noient mes
haines maigrelettes
des Deux-Montagnes aux Trois-Pistoles
mais je t’ai fouillé en vain de L’Atlantique à l’Outaouais de l’Ungava
aux Appalaches
je n’ai pas trouvé ton nom
je n’ai rencontré que des fatigues innommables qui traînent la nuit
entre le port et la montagne rue Sainte-Catherine la mal fardée
je n’ai qu’un nom à la bouche et c’est ton nom Gilles ton nom sur
une croix de bois quelque part en Sicile c’est le nom de mon pays
un matricule un chiffre de misère une petite mort sans importance
un cheveu sur une page d’histoire
Emperlé des embruns de la peur tu grelottes en cette Amérique trop
vaste comme un pensionnat comme un musée de bonnes intentions
Mais tu es nôtre tu es notre sang tu es la patrie et qu’importe l’usure
des mots
Tu es mon beau pays tu es vrai avec ta chevelure de fougères et ce grand
bras d’eau qui enlace la solitude des îles
Tu es sauvage et net de silex et de soleil
Tu sais mourir tout nu dans ton orgueil d’original roulé dans les poudreries
aux longs cris de sorcières
…
Revue « Parti Pris. N°2, Novembre 1963 »
Montréal (Québec), 1963