Un prêtre mexica, du sommet de la pyramide du Soleil, se tourne vers l’orient et, dans un mélange de nahuatl et d’espagnol, prie « afin que les forces du ciel répandent leur énergie sur la terre5 ». Au sommet de la plate-forme située en face, un autre ritualiste à la somptueuse coiffe en plumes de paon, fait appel aux « forces mystiques » du cosmos, « pour qu’il y ait davantage d’emplois, moins de pollution, que l’économie s’améliore et change le gouvernement ». Doña María, vendeuse de beignets, s’adresse à son tour aux divinités célestes :
Ô, force universelle et cosmique,
Énergie mystérieuse,
Sein fécond où tout naît,
Toi, le logos solaire, émanation ignée,
Christ en substance et en conscience,
Vie puissante pour tout ce qui avance,
Viens vers moi.
Ô, force universelle et cosmique,
Énergie mystérieuse,
Je te conjure, viens vers moi,
Donne-moi la force pour attirer chance,
Fortune, travail, amour,
Santé, paix, abondance, harmonie dans mon foyer,
Pour régner totalement dans le cœur des êtres chéris
Qui m’entourent, visibles et invisibles.
De cette aventure, il me reste l'impression que les Otomi, à travers discours, rites et images, mettent en forme des représentations, des systèmes de causalité, avec des intuitions théoriques très proches, en fin de compte, de celles étayées par la psychanalyse. Une discipline avec laquelle ce mode de pensée entretient des homologies déroutantes, mais aussi des oppositions irréductibles, en particulier sur la notion cruciale d' « inconscient », un dossier que l'on ouvrira au terme de cette enquête, et dont je mesure à quel point il semble provoquant et suspect à nombre de mes collègues
Définir a priori la société otomi par son caractère indien, c’est nier son incorporation fondamentale à la classe paysanne, dont les mutations sont commandées par l’interaction de trois processus fondamentaux, définis explicitement par Eric Wolf : d’une part, les processus d’interaction entre cette société et son écosystème, d’autre part ceux issus des contraintes propres à son modèle d’organisation sociale, et enfin les processus relevant de son type d’intégration à la société nationale.
Comme dans toute société, il existe chez les Otomi des rituels « calendaires » et des rituels « critiques », pour reprendre la distinction de Titiev.
Les événements diurnes ne prenent de sens que dans leur rapport à la profonde obscurité.