LX
SISINA
Imaginez Diane en galant équipage,
Parcourant les forêts ou battant les halliers,
Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage,
Superbe et défiant les meilleurs cavaliers !
Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,
Excitant à l'assaut un peuple sans souliers,
La joue et l'oeil en feu, jouant son personnage,
Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ?
Telle la Sisina ! Mais la douce guerrière
À l'âme charitable autant que meurtrière;
Son courage, affolé de poudre et de tambours,
Devant les suppliants sait mettre bas les armes,
Et son cœur, ravagé par la flamme, a toujours,
Pour qui s'en montre digne, un réservoir de larmes.
p.63
LXII - FRANCISCÆ MEÆ LAUDES *
LOUANGES EN L’HONNEUR DE MA FRANÇOISE
Sur un mode nouveau je te chanterai,
O mignonne qui t’ébats
Dans la solitude de mon cœur.
Sois couverte de guirlandes ;
O femme exquise
Grâce à qui sont absous les péchés !
Je puiserai des baisers
Comme un bienfaisant Léthé
En toi d’où émane un attrait magnétique.
Quand la tempête des vices
Balayait tous les sentiers,
Tu parus, Déité,
Comme l’étoile salvatrice
Dans les naufrages amers …
Que mon cœur soit pendu à tes autels !
Piscine pleine de vertu,
Source d’éternelle jeunesse,
Rends la parole à mes lèvres muettes !
Ce qui était pourri, tu l’as brûlé ;
Trop grossier, tu l’as aplani ;
Débile, tu l’as affermi.
Auberge dans ma disette,
Lumière dans ma nuit,
Guide-moi sur le droit chemin.
Ajoute maintenant des forces à mes forces,
Bain de douceur tout parfumé
D’odeurs suaves !
Étincelle autour de mes reins,
O ceinture de chasteté,
Teinte d’une eau séraphique ;
Coupe brillante de pierreries,
Pain salé, mets délicat,
Vin divin, ô Françoise !
* Traduction FRANCISCÆ MEÆ LAUDES, ouie dans l'émission de France Inter orchestrée par Philippe Meyer « La prochaine fois je vous le chanterai » du samedi 28 mai 2016.
LXII
FRANCISCÆ MEÆ LAUDES
VERS COMPOSÉS POUR UNE MODISTE ÉRUDITE ET DÉVOTE.
Ne semble-t-il pas au lecteur, comme à moi, que la langue de la dernière décadence latine, — suprême soupir d’une personne robuste déjà transformée et préparée pour la vie spirituelle, — est singulièrement propre à exprimer la passion telle que l’a comprise et sentie le monde poétique moderne ? La mysticité est l’autre pôle de cet aimant dont Catulle et sa bande, poètes brutaux et purement épidermiques, n’ont connu que le pôle sensualité. Dans cette merveilleuse langue, le solécisme et le barbarisme me paraissent rendre les négligences forcées d’une passion qui s’oublie et se moque des règles. Les mots, pris dans une acception nouvelle, révèlent la maladresse charmante du barbare du nord agenouillé devant la beauté romaine. Le calembour lui-même, quand il traverse ces pédantesques bégaiements, ne joue-t-il pas la grâce sauvage et baroque de l’enfance ?
Novis te cantabo chordis,
O novelletum quod ludis
In solitudine cordis.
Esto sertis implicata,
O fœmina delicata,
Per quam solvuntur peccata !
Sicut beneficum Lethe,
Hauriam oscula de te,
Quæ imbuta es magnete.
Quum vitiorum tempestas
Turbabat omnes semitas,
Apparuisti, Deitas,
Velut stella salutaris
In naufragiis amaris…
Suspendam cor tuis aris !
Piscina plena virtutis,
Fons æternæ juventutis,
Labris vocem redde mutis !
Quod erat spurcum, cremasti ;
Quod rudius, exæquasti ;
Quod debile, confirmasti.
In fame mea taberna,
In nocte mea lucerna,
Recte me semper guberna.
Adde nunc vires viribus,
Dulce balneum suavibus
Unguentatum odoribus !
Meos circa lumbos mica,
O castitatis lorica,
Aqua tincta seraphica ;
Patera gemmis corusca,
Panis salsus, mollis esca,
Divinum vinum, Francisca !
p.65-66
Pour celles et ceux qui le voudraient Juliette Nouredine chante ce poème de Baudelaire FRANCISCÆ MEÆ LAUDES (Juliette - franciscae meax laudes - vidéo Dailymotion)