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Citation de Henri-l-oiseleur


[Documentation et méthode]
Les historiens, romanciers et cinéastes modernes ne nous aident pas, eux qui se sont consacrés avec enthousiasme à la période Tudor, en méprisant celle du roi Jacques Stuart, malgré son importance historique. Que l'on admire Jacques, qui fut de tous les dirigeants anglais le plus intellectuel, ou qu'on le rejette (comme fit Antony Weldon en 1650) parce qu'il fut "l'imbécile le plus sage de toute la Chrétienté", il reste difficile de comprendre les oeuvres du Shakespeare jacobéen sans une connaissance approfondie de ce qu'était la vie pendant son règne. Pour aggraver la chose, les biographes de Shakespeare ont lourdement insisté sur sa vie sous Elisabeth, par intérêt pour ses années de formation. Que l'on ouvre n'importe quelle biographie, on verra qu'il reste peu de pages à lire sur les années suivant la prise de pouvoir de Jacques I° en 1603. Ce que vivait le Shakespeare jacobéen à l'un des sommets de sa carrière d'écrivain, - et qui devrait avoir une immense importance pour ceux qui étudient sa vie -, est vite bâclé, et les biographes qui s'arrêtent à l'année 1606 se dispersent stérilement à enquêter sur des rumeurs apparues des décennies plus tard, à propos d'une relation du dramaturge avec la jolie femme d'un aubergiste d'Oxford.

Après un quart de siècle de recherches et de publications sur la vie de Shakespeare, je suis douloureusement conscient que ce que j'aimerais savoir de lui, ses opinions politiques, ses croyances religieuses, ses amours, quel père, mari et ami il était, ce qu'il faisait du temps où il n'écrivait ni ne jouait, est définitivement perdu. La possibilité d'une telle biographie a disparu à la fin du XVII°s, quand les derniers témoins vivants emportèrent leurs histoires et leurs secrets dans la tombe. Les biographes modernes qui, malgré cela, spéculent sur ces choses, ou qui, en l'absence d'archives lisent ses poèmes et ses pièces comme de pures autobiographies, finissent toujours par en dire plus sur eux-mêmes que sur Shakespeare.

Cependant, même si la vie personnelle de Shakespeare en 1606 est totalement inconnaissable, il est possible de reconstituer ses pensées et ses combats avec le monde extérieur, en regardant ce qu'il écrivit dans le cadre de son dialogue avec son époque, quand il composa ces trois pièces [Le roi Lear, Macbeth, Antoine et Cléopâtre]. Ses réactions à la lecture d'une vieille pièce de théâtre, "King Leir", ou du traité de Samuel Harsnett sur les possessions démoniaques, ou encore de son livre favori, la "Vie d'Antoine" de Plutarque, peuvent être retrouvées. Bien qu'il préférât demeurer dans l'ombre, on peut l'apercevoir dans l'éclat des événements contemporains. On peut le surprendre cette année-là dans son rôle d'Homme du Roi apparaissant avec ses collègues acteurs devant le roi à Greenwich, Hampton Court et Whitehall, et dans les processions royales; en vertu de son statut officiel de Valet de Chambre - occasions pour lui d'observer la cour de l'intérieur.

A cette fin, les pages qui suivent présentent une tranche de la vie d'un écrivain, et, je l'espère, ressusciteront son monde et ses oeuvres. La richesse même de ce moment culturel entrave et permet cet effort : malgré les inconnues, dessiner une silhouette de Shakespeare exige beaucoup de travail et d'imagination, car il nous faut remonter le cours de quatre siècles et nous immerger dans les espérances et les peurs de cette époque ; mais les récompenses sont à la hauteur, car cette richesse, à son tour, nous aide à relire d'un oeil neuf les tragédies qu'il créa pendant cette année tumultueuse.

pp. 14-16, fin du prologue.
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