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Citation de pioupy


Un nouveau « conte de fées » hier. Serge voulait le Petit Négro dans la vitrine. Il voulait le payer 50 francs et il pensait qu’ils diraient oui. Mais non, le vieux Breton qui tenait la boutique a dit qu’il ne pouvait pas le vendre car il leur appartenait depuis soixante ans. Et tous les enfants et les adultes qui passaient dans la rue s’arrêtaient pour l’admirer, et les gens achetaient des culottes Petit Négro grâce à lui. On ne fabrique plus de statuette comme celle-là désormais, donc ils ne pourraient pas en avoir une autre. J’étais si fière de lui de ne pas vendre sa mascotte aux riches Parisiens. J’ai demandé si on pouvait éventuellement écrire à l’usine en Belgique et leur en acheter une, mais il a dit « non, ils n’en ont pas fabriqué depuis des années et on l’a seulement parce que c’est une vieille boutique, ça fait soixante-dix ans qu’il est là ». Tous les registres du magasin sont écrits à la plume et à l’encre, c’était comme une boutique à la Dickens et ils en étaient si fiers. Mais Serge voulait ce Petit Négro, c’était devenu une obsession, « pour mille francs », il a déclaré. Eh bien, tu aurais dû voir la tête du petit Breton ! Il a bégayé « Anciens ? » « Non, nouveaux ».
Le petit homme a tiqué et marmonné quelque chose. Serge a écrit le prix en anciens et en nouveaux francs sur un bout de papier sous le regard du vieil homme et de son assistant, qui s’occupait des comptes et restait assis toute la journée face à la vitrine qui contient le Petit Négro !
« Je vais demander au patron », a dit le petit homme et il a boitillé rapidement à l’étage. Je n’arrivais pas à croire le prix proposé par Serge, 100 livres pour une statuette en plâtre, mais j’étais encore certaine qu’ils allaient dire non, après tout, il était LEUR PORTE-BONHEUR et il était dans la vitrine depuis des années et des années. Eh bien, le patron est descendu et après beaucoup de messes basses, les enchères ont recommencé. Serge a eu un moment de panique, il a cru qu’il avait proposé 1000 livres en cash. Serge a dit « oui » et ils ont dit « oui ». Pas trop tard pour changer encore d’avis, je me suis dit pendant qu’ils retiraient la statuette de la vitrine. Pas trop tard pour changer d’avis, je me suis dit tandis qu’ils la posaient sur la table. Le vieil homme a caressé le visage de plâtre et il a dit « Au revoir mon bonhomme, ça fait longtemps qu’on se connaît ».
Oh non ! Mais si, il l’a emballé dans du papier journal et l’a mis dans une boîte à chaussures avec une ficelle. Le vieil homme a dit qu’il fallait qu’il soit dans un beau paquet parce qu’il avait toujours satisfait ses clients et qu’il ne devait rien à personne. Il a dit « Nous les Bretons, on peut pas être achetés » alors qu’il nouait la ficelle et on lui a dit au revoir. Serge a donné deux billets de 500 francs et même un peu plus pour les trois serviettes que j’avais achetées et nous sommes sortis.
J’étais terriblement triste et je crois que même Serge l’était, même s’il avait gagné. Il a dit « tout le monde peut être acheté ». J’avais tellement souhaité que ça ne soit pas le cas. Sur le chemin du retour, nous sommes passés à côté de la vitrine en voiture, des boîtes de culottes et de la poussière, mais toi tu n’y étais pas, non, Petit Négro. Il trônera bientôt sur le grand piano à Paris. Mais leur chance s’est-elle enfuie en même temps que leur PORTE-BONHEUR ? Plus de visages d’enfants qui regardent dans la vitrine de la vieille boutique, des visages que le vieil homme n’aurait jamais vus s’il n’y avait pas eu la statuette du petit garçon noir accompagné de ses deux petits chiots qui tirent sur son caleçon blanc. Serge dit que j’ai lu trop de romans de gare… peut-être, mais ça m’a rendue triste toute la journée. Je penserai à cet homme la semaine prochaine, quand ils auront dépensé les 1000 francs qu’ils ne pouvaient pas refuser. Ils se diront qu’ils ont vendu leur ami pour pas grand-chose quand ils ne verront plus les visages à travers la vitrine.
[p256/258].
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