L'homme ne peut vivre s'il ne s'accepte tel qu'il est, s'il ne se sent pas accepté par la société où il vit, s'il ne peut avouer son nom.
J'ai dit ma peine à qui n'a pas souffert
Et il s'est ri de moi.
J'ai dit ma peine à qui a souffert,
Et il s'est penché vers moi.
Ses larmes ont coulé avant mes larmes.
Il avait le cœur blessé.
Eboulez-vous montagnes
Qui des miens m’avez séparé,
Laissez à mes yeux la voie libre,
Vers le pays de mon père bien-aimé.
Je m’acharne en vain à l’ouvrage;
Mon cœur là-bas est prisonnier.
Paix et salut, ô mon pays !
Mes yeux ont parcouru des mondes.
Ma vue est orage de printemps
Dans le tumulte des neiges fondantes.
Mère, ô mère bien-aimée,
Ah ! l’exil est un long calvaire
A yemma ḍebbeṛ felli
Ma d ṛṛwaḥ neγ d iγimi
Ma ṛuheγ lebḥeṛ yeḥmel
Ma qqimeγ i-lwad yečča-y
O, maman, décide pour moi,
Dois-je partir, dois-je rester ?
Partir ? La mer est démontée !
Rester ? Le fleuve m’engloutit.
Adieu au pays natal
Dresse-toi devant moi, mon fils, pour que je me souvienne de ta taille
Je veux aller trouver ma Famille
Un cercle de mains caressantes,
De douces mains humaines
Où l’oubli soit enclos.
Je veux aller trouver ma vraie famille humaine.
Sous les branches bombées de l’olivier bruni,
Et les pentes à nu de ces collines bleues
Le Désespoir dormait.
Et le ciel inclément sur ces masses perdues à jamais
Dans la Mort impalpable et splendide,
Versait sa fraîcheur bleue.
La vie légère s’envolait des fleurs violettes des pêchers,
Et dans le fond des ravins bleus
Chantait l’Eau de la Miséricorde.
Je veux aller trouver les Anges, mes frères,
Dans le pays muet que renferme mon cœur.
Âmes, ô Âmes des Morts !
Sous le schiste strié
Les olives pleuraient sur vos os oubliés,
Mais l’huile ensoleillée ne pourra plus jamais,
Pourtant, jamais,
Redonner la jeunesse à vos membres séchés.
Coulez-vous dans le ciel,
A l’heure où l’épervier,
Autour des gouffres bleus
Enroule son vol silencieux ?
Est-ce vous, ô voyageuses de l’éternelle angoisse,
Qui traversez la foule des étoiles innombrables,
Dans le ciel noir où mon étoile, un jour, me fera signe ?
Mais, sa place,
Celle de votre enfant, malgré vous, malgré lui
Prisonnier de ces os rendu au schiste sec,
Mais, ma place,
Celle de votre fils aux membres ligotés
Où, où est-elle ?
Je voudrais reposer dans ma famille humaine,
Celle qui fut livrée à une sombre haine
Mais qu’un Dieu délivrera sur un Mont d’Oliviers
Pareil aux troncs noueux des arbres de chez nous.
Aujourd’hui, aujourd’hui, j’abandonne ce lieu
Où j’ai cru si longtemps que mes pieds poseraient
Pour jamais,
Ces sépulcres offerts au Soleil dévorant,
Ces femmes ravinées dont les mains sont tendues
Non vers ce ciel trop pur,
Mais vers les mains fermées des enfants en allés
Vers le pays de l’or et du travail facile.
J’appareille aujourd’hui vers une autre colline,
Un pays jamais vu par des regards humains,
Sous un arbre aux bras longs comme un regard de mère…
Note
Mes paroles émergent en moi
Comme les bulles irisées
Qui vont mourir sur les eaux tristes.
Je n’ai rien dit qui fût à moi,
Je n’ai rien dit qui fût de moi,
Ah! dites-moi l’origine
Des paroles qui chantent en moi !
Je n’ai pu créer des images
Ni charger les mots de magie,
Quelle main unissait les choses
Dans le néant de ma mémoire,
Les faisant éclater soudain
Dans les fruits d’un amour étrange?
Est-ce la main d’un Ange, en moi présente et absente?
Est-ce la main d’un Dieu veillant au delà de moi-même?
Qui me dira le destin de ces paroles d’inconnu?
De quoi sont-elles messagères?
De qui suis-je le messager?
En donnant ces chants berbères au public, j'ai le sentiment de livrer un trésor privé, de me dessaisir d'un bien de famille. Mais, il n'est pas de meilleure manière de préserver de la destruction une richesse. Aussi loin que j'essaie de remonter le cours de ma vie, le moindre événement qui affleure à ma mémoire est accompagné du bercement des chants de mon pays.
Tout meurt,
Tout se dissout
Pour que naisse la vie
J’ai dit ma peine à qui n’a pas souffert,
Il s’est ri de moi,
J’ai dit ma peine à qui a souffert, il s’est penché vers moi.
Ses larmes ont coulé avant mes larmes,
Il avait le cœur blessé.
J'ai versé tant de pleurs sans que vous pleuriez.
J'ai compris : je suis étranger