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Critiques de Jean Arp (4)
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Sable de lune

« Sable de Lune » de Jean Hans Arp (2005, Arfuyen, 197 p.) est une édition bilingue de ses poèmes, initialement écrits en allemand entre 1955 et 1959, puis traduits et préfacés par Aimée Bleikasten.

Hans Arp (1886-1966) est né à Strasbourg, au pied de la cathédrale. Comme tout alsacien, né après l’annexion, avec une mère, née Marie Joséphine Köberlé, qui n’a étudié « la langue de l’occupant » seulement après 1871. Il aime à se donner le double prénom de Hans et Jean, parlant français avec ses parents, allemand à l’école et surtout alsacien avec ses amis. Etudes des beaux-arts à l'École d'art de Weimar et à l'Académie Julian à Paris, sans que cela ne convienne à son envie de création. Trop académique. En 1908, la famille Arp s'établit en Suisse à Weggis, à côté de Lucerne. Le père quitte sa fabrique de cigares et la « Kaiserliche Tabakmanufaktur » (Régie impériale des tabacs) installée à la Krutenau, dans l’usine qui sera ensuite propriété de la SEITA.

Etudes des beaux-arts à l'École d'art de Weimar et à l'Académie Julian à Paris. Mais celà ne convient pas à son envie de création. Trop académique. En 1908, la famille s'établit en Suisse à Weggis, à côté de Lucerne, où l'usine de cigarettes de son père, fabricant de cigares, a déménagé. Il raconte cette jeunesse dans « Unsern Täglichen Traum » (Notre rêve quotidien). C’est la genèse de sa vocation.

Il fait alors la connaissance de Paul Klee en 1909 et participe à des expositions, dont celle du « Blaue Reiter » en 1912. C’est un groupe d'artistes expressionnistes, qui s'est formé à Munich autour de Vassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke. Suit une période « dada », à Zurich, mouvement qu’il fonde avec Marcel Janco et Tristan Tzara.

Hans Arp épouse Sophie Taüber en 1921 et le couple s’installe à Clamart, en région parisienne en 1927-1928. Puis le couple, et l’architecte hollandais Theo van Doesburg décorent le bâtiment de l’Aubette à Strasbourg, complètement rénové. Le premier étage qui est destiné à servir de foyer-bal, est conçu par Sophie Taüber-Arp et décoré de motifs rectangulaires de couleur. C’est un des lieux les plus significatifs de l’art de cette époque, qui fut qualifié de « Chapelle Sixtine de l'art moderne ». Deux campagnes récentes de restauration ont eu lieu pour la salle de ciné-bal et ont permis de remettre à neuf l'escalier d'accès au premier étage, la salle des fêtes et le foyer-bar.

Pendant la guerre, le couple se réfugie en Dordogne, puis à Grasse, avec Sonia Delaunay dans une « maison entourée d'oliviers dont la vue s'étend jusqu'à la mer ». Elle doit fuir pour Zurich où elle meurt en 1943, intoxiquée par un poêle au fonctionnement défectueux. Hans Arp lui rend hommage dans son recueil de poèmes, essais et souvenirs « Jours Effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.).

« Jours Effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.) est un recueil de poèmes, essais et souvenirs de Jean Hans Arp, écrits entre 1920 et 1963. Trois petits opuscules récents « Logbuch » (1983, Arfuyen, 47 p.), « Sable de Lune » traduit par Aimée Bleikasten (2005, Arfuyen, 197 p.), « La Grande Fête sans fin » traduit par Aimée Bleikasten (2014, Arfuyen, 240 p.).

« Sable de Lune » de Jean Hans Arp (2005, Arfuyen, 197 p.) est une édition bilingue de ses poèmes, écrits en allemand entre 1955 et 1959, puis traduits et préfacés par Aimée Bleikasten.

Le recueil est divisé en cinq sections qui ont leur propre tête de chapitre. On trouve ainsi « Le crocodile athée » (1957), « Petite Anthologie » (1948-1959), « Que faut-il faire », « Duo » (1948-1959, et « Sable de lune » (1958-1959). On constate qu’il n’y a pas d’ordre chronologique, ni d’ailleurs d’ordre formel entre poèmes en vers libres et prose.

« Il peut arriver en plus que le crayon du crocodile athée écrive : / Crocodiplomate / Crocodioclétien / Crocodiorama / Rocococrocodile ». Ce qui permet au « pauvre diable qui ne peut prier » de trouver le temps moins long. Comme quoi, on peut remplacer les prières par des jeux de mots. Encore faut-il espérer que les dieux ont le sens de l’humour. Par contre, Jean Arp ne donne pas de solution si le crayon du crocodile athée écrit « Abel Babel Fabel / Gabel Kabel Nabel ». Le cas de « Label », sans doute trop trivial, n’est pas abordé non plus, même en rapport avec « Helen ».

La « Petite Anthologie » regroupe une douzaine de poèmes en vers. Dont « Où », qui a six vers, dont deux riment en « cristal » et « le pays des violettes d’antan » (rime fort riche). Les deux vers restants, le premier et le dernier, font référence au « rêve ». Deux autres poèmes ont trait à « un homme dont les jambes deviennent », soit « de plus en plus minces », soit « de plus en plus longues ». Ce qui diffère fort de l’enfant qu’a mis au monde une femme, enfant « qui ressemblait à une araignée ». On constate que l’onirisme de Hans Arp est plutôt chauchemardesque.

Suivent des « Nouveaux poèmes » dont une bonne moitié en prose. « Quand le ciel prendra-t-il enfin la couleur des anges ?», et « Quand trouvera-t-il le chemin de soi ? »

Bien sûr, on est entre 1948 et 1959, il y a donc un épisode « Sophie ». On sait la longue dépression qui affecte Hans Arp après la perte inattendue de « sa chère Sophie ». « Sophie me répond que pour mériter le ciel il faut un tendre épanouissement ». Pourquoi ? parce que « les perce-neige sont plus grands maintenant que les sapins adultes ».

On arrive ensuite à « Mondsand » ou « Sable de lune » qui donne son titre au recueil. Il comprend une trentaine de poèmes, une lunaison, dans lesquels il est chaque fois question de lune. « J’aimerais bien / comme pauvre homme / adresser des poèmes à la lune », soit « une lune ivre de rêves » ou « une lune ivre de rêves ». Il y a même « une antilune / en souliers vernis et haut de forme » et « Une lune blanche / blanc sur blanc / un nouveau relief / de moi ». Le tout est daté de1958-1959 et dédié « Pour Marguerite, pour le 22.8.59 », c’est le jour de son anniversaire. Ces poèmes sont écrits après 1958, lorsque Hans Arp est soutenu par Marguerite Hagenbach, avant de l’épouser, ils montrent un retour à la vie.

Ceci dit, ces ouvrages que sont « Jours Effeuillés » « Sable de Lune » et « La Grande Fête sans fin » offrent une grande variété de poèmes, souvenirs et essais de Jean Hans Arp, accessible aux lecteurs francophones. Et c’est une très bonne chose. Si l’on connait relativement bien son œuvre de plasticien, son œuvre poétique est encore mal connue, malgré l’admirable « Jours Effeuillés ». Ce qui est paradoxal, car l’artiste a toujours privilégié son travail d’écriture. Si par impossible j’étais obligé de choisir entre l'œuvre plastique et la poésie écrite, si je devais abandonner, soit la sculpture, soit les poèmes, je choisirais d'écrire des poèmes. Si dans ses derniers textes, il fait preuve d’une plus grande spiritualité, sa poésie reste toute empreinte d’humour. Et comme il aimait à la dire. « L'humour c'est l’eau de l'eau-delà mêlée au vin d'ici-bas ».



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La grande fête sans fin

« La Grande Fête sans Fin » de Jean Hans Arp « 2014, Arfuyen, 240 p.) est une édition bilingue de ses poèmes, initialement écrits en allemand après 1960, puis traduits et préfacés par Aimée Bleikasten.

On ne dira jamais assez de bien des Editions Arfuyen, qui s’efforcent de faire connaître la production littéraire alsacienne. Ni des traducteurs qui assurent la transmission de ces textes.

Hans Arp (1886-1966) est né à Strasbourg, au pied de la cathédrale. Comme tout alsacien, né après l’annexion, avec une mère, née Marie Joséphine Köberlé, qui n’a étudié « la langue de l’occupant » seulement après 1871. Il aime à se donner le double prénom de Hans et Jean, parlant français avec ses parents, allemand à l’école et surtout alsacien avec ses amis. Etudes des beaux-arts à l'École d'art de Weimar et à l'Académie Julian à Paris, sans que cela ne convienne à son envie de création. Trop académique. En 1908, la famille Arp s'établit en Suisse à Weggis, à côté de Lucerne. Le père quitte sa fabrique de cigares et la « Kaiserliche Tabakmanufaktur » (Régie impériale des tabacs) installée à la Krutenau, dans l’usine qui sera ensuite propriété de la SEITA.

Etudes des beaux-arts à l'École d'art de Weimar et à l'Académie Julian à Paris. Mais celà ne convient pas à son envie de création. Trop académique. En 1908, la famille s'établit en Suisse à Weggis, à côté de Lucerne, où l'usine de cigarettes de son père, fabricant de cigares, a déménagé. Il raconte cette jeunesse dans « Unsern Täglichen Traum » (Notre rêve quotidien). C’est la genèse de sa vocation.

Il fait alors la connaissance de Paul Klee en 1909 et participe à des expositions, dont celle du « Blaue Reiter » en 1912. C’est un groupe d'artistes expressionnistes, qui s'est formé à Munich autour de Vassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke.

Hans Arp épouse Sophie Taüber en 1921 et le couple s’installe à Clamart, en région parisienne en 1927-1928. Puis le couple, et l’architecte hollandais Theo van Doesburg décorent le bâtiment de l’Aubette à Strasbourg, complètement rénové. Le premier étage qui est destiné à servir de foyer-bal, est conçu par Sophie Taüber-Arp et décoré de motifs rectangulaires de couleur. C’est un des lieux les plus significatifs de l’art de cette époque, qui fut qualifié de « Chapelle Sixtine de l'art moderne ». Deux campagnes récentes de restauration ont eu lieu pour la salle de ciné-bal et ont permis de remettre à neuf l'escalier d'accès au premier étage, la salle des fêtes et le foyer-bar.

Pendant la guerre, le couple se réfugie en Dordogne, puis à Grasse, avec Sonia Delaunay dans une « maison entourée d'oliviers dont la vue s'étend jusqu'à la mer ». Elle doit fuir pour Zurich où elle meurt en 1943, intoxiquée par un poêle au fonctionnement défectueux. Hans Arp lui rend hommage dans son recueil de poèmes, essais et souvenirs « Jours Effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.).

« Jours Effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.) est un recueil de poèmes, essais et souvenirs de Jean Hans Arp, écrits entre 1920 et 1963. Trois petits opuscules récents « Logbuch » (1983, Arfuyen, 47 p.), « Sable de Lune » traduit par Aimée Bleikasten (2005, Arfuyen, 197 p.), « La Grande Fête sans fin » traduit par Aimée Bleikasten (2014, Arfuyen, 240 p.).

« La Grande Fête sans Fin » de Jean Hans Arp est une édition bilingue de ses poèmes, écrits en allemand, puis traduits et préfacés par Aimée Bleikasten.

Le recueil est divisé en 5 sections « Chansons de Lys », « Mots », « Latin d’Arc-en-Ciel », « Journal du Capitaine des Rêves » et « Eternelles Fleurs de Rêve ». L’avant dernière section « Journal » reprend le texte du « Logbuch », mais sans y inclure la dernière section « Krambol ». Ce sont essentiellement des poèmes publiés en allemand et repris dans la dernière partie de « Gesamelle Gedichte III 1957-1966 » (1984, Arche Verlag, 266 p.). Par contre, ne sont pas inclus « Sinnende Flammen » traduit par Maxime Alexandre en « L’Ange et la Rose », ainsi que le long poème « Gislebertus d’Autun » écrit directement en français. C’est un des sculpteurs majeurs pour la cathédrale romane d’Autun, à qui on doit notamment la célèbre « Eve d'Autun » (vers 1130). La sculpture, qui ornait le linteau du portail, représente une femme nue (Eve) couchée se saisissant d'un fruit sur une branche tenue par une main griffue. Mais le reste du corps de Satan a disparu.

Les premiers poèmes font beaucoup appel à la notion d’identité. « Qui est qui ? : Who is who ? / Qui est-il ? / Qu’est-il ? / Où est-il ? » ou bien de questionnement « Que pourra-t-on lire sur la prochaine page ? […] Où me conduit mon vol ?». C’est la période de formation « Mais avant il me faut encore un peu me changer en chrysalide et me reposer ».

Suit un long poème « Worte » (Mots) qui s’étend sur 6 pages en petits vers courts (3-6 mots) dans lequel il y a toutes sorte de mots « mots flocons » et même des « mots flocons rêveurs », des « mots d’anges pour des anges », ou des « mots dits par les biches », et finalement « les mots des poètes ». Un poème aussi, dédié « Pour Marcel Janco », en souvenir de l’époque dada du « Cabaret Voltaire » à Zurich, tout en lyrisme « Si quelqu’un est attiré par une fleur / celle-ci ne s’épanouira-t-elle pas bien vite / ou s’il la dédaigne / ne va-t-elle pas faner bien vite ».

Puis « Regenbogenlatein » ou « Latin d’arc-en-ciel », après tout, il y a bien du latin de cuisine. De plus Hans Arp, bien que trilingue, avoue qu’il « ne parle hélas pas le firgel ». « La belle langue firgel / c‘est s’attarder rêver / penser et fantasmer », et il en donne un exemple « dogdpst pst pst runglidodi / glbsti i i glbsti sp nebst trullal / laladamad finf damd ding / bif ». Et il avoue plus loin « ce serait trop aimable à vous / de me traduire / une telle chanson ». Ce qu’il y a de bien dans une édition bilingue, c’est que le texte allemand comporte les mêmes mots en firgel, mais san plus de traduction. Il faut dire que les définitions données par Arp sont quelquefois sibyllines. Ainsi à propos de « Olmen » dont il prend soin de titrer ainsi deux poèmes qui se suivent, et ne se ressemblent pas « Olmen I » et « Olmen II », mais qui sont censés répondre à la question : « Olmen, c’est quoi ? » Eh bien pour réponse « Olmen est tantôt ceci tantôt cela / Olmen est aussi parfois l’un et l’autre à la fois / La plupart du temps Olmen est autre chose ». Généreux, il donne des exemples, comme un « Supercaruso » ou un « Pseodopuccini », à ne pas confondre avec un « vrai Caruso », cela va de soi. Mais, de fait, « Olmen est un liftboy / un lohengringoy ». C’est aussi « Olmen est un glouton […] un papillon / un fakir de nadir / un gondolier d’étoile ». C’est en fait un cousin de Odradek, personnage inventé par Kafka dans « Le souci du père de famille » nouvelle tirée de « Un médecin de campagne » dans « Œuvres Complètes II » (1980, Gallimard, La Pléiade, 1344 p.). Il est à la fois une poupée et un prodige tombé du ciel, une mécanique de l’horreur et une étoile, une figure du disparate et un microcosme. C’est le modèle réduit de toutes les ambiguïtés d’échelle de l’imaginaire, car selon Walter Benjamin « Odradek est la forme que prennent les choses oubliées ». Frank Kafka est plus concret qui affirme « Les uns disent que le mot Odradek vient du slave, et c’est pour cette raison qu’ils cherchent à établir la formation du mot. D’autres en revanche croient que ce mot vient de l’allemand, qu’il n’est qu’influencé par le slave. Mais en vérité le caractère incertain des deux explications permet de conclure à juste titre qu’aucune n’est exacte, d’autant plus qu’aucune d’entre elles ne permet de trouver un sens au mot. Naturellement, personne ne se consacrerait à de telles études s’il n’existait pas vraiment un être qui s’appelât Odradek. On dirait d’abord une bobine de fil plate en forme d’étoile, c’est un fait qu’il semble être vraiment couvert de fils, même si en vérité il ne peut s’agir que de bouts de fil de différentes sortes et couleurs, bouts de fil déchirés, anciens, noués ensemble mais aussi entremêlés. Cependant, ce n’est pas qu’une bobine, car du milieu de l’étoile ressort une tige transversale, et à cette tige se joint une autre dans l’angle droit. C’est au moyen de cette dernière tige et de l’une des pointes de l’étoile que l’ensemble se tient debout comme s’il était sur deux jambes ». On l’a dit Olmen est son cousin, tout comme le cousin d’Odradek est Olmen.

Tout cela pour en arriver au « Logbuch des Traumkapitäns » ou « Journal du capitaine des rêves ». Cette vingtaine de poèmes était déjà parue, également traduits par Aimée Bleikasten sous le titre de « Logbuch » (1983, Arfuyen, 48 p.), avec 8 illustrations en noir et blanc. Le petit recueil comporte aussi, en plus de ces poèmes, le cycle des poèmes « Krambol », paru dans la revue « Recherches Germaniques », traduit par Andrée Bleikasten « KRAMBOL ou les Petites Madeleines de Hans Arp » 1981, Revue Germanique, Strasbourg, p. 246-258).

Avec ces textes de jeunesse, si l’on peut dire, on peut comparer l’évolution de l’écriture de Hans Arp, avec la réutilisation des phrases ou des idées, en les polissant à chaque fois, c’est un peu aussi sa façon de procéder en sculpture. Il réutilise un même vers dans plusieurs textes ou des versions différentes d’un même texte selon des publications successives.

Il y a en plus sa sempiternelle interrogation « qui suis-je » « Who is who », « Je tu il nous vous ils » dans laquelle il écrit « Qui suis-je ? / Si je suis moi / n’est pas facile à dire ». « Qui suis-je ? » qui revient encore, et toujours. Son interrogation sans cesse dans « Jours effeuillés » et sa réponse « un hideux lambeau / du sabbat sanglant des mères-patries ». Il en appelle à la réconciliation. « Je crois qu’il est plus commode / que Toi et Moi / nous ne fassions qu’Un de nouveau ». Il est indéniable que la guerre a marqué Hans Arp. Plusieurs textes de « Jours Effeuillés » y font allusion. Notamment, en 1933 « La Cigogne enchaînée », sous-titrée « Nouvelle patriotique et alsacienne ». Cela débute fort. « L’Alsace, comme son nom l’indique, est un pays appelé aux plus hautes destinées. C’est le pays le plus propre du monde : il change de chemise tous les trente ans ». C’est alors le brun qui domine.

Un fragment d’écriture manuelle avec signature de Hans Arp ouvre le dernier chapitre « Ewige Traumblumen » ou « Eternelles fleurs de rêve ». On y lit « Orte worte / Welt all worte / tiraden voller / tittel voller / betittle den voller / worte sprung lauf / worte welt all / worte / worte sprung lauf », que Aimée Bleikasten traduit pas « mots de lieux / mots d’univers / course à saute-mots / riche de tirades / riche de titres / riche d’intitulés / univers de mots / mots / course à saute-mots ». L’écriture n’est pas facile à lire. Les mots sont peu ou pas séparés entre eux. Par contre, la signature « Hans Arp » débute par un très joli H dont la barre horizontale est une vague, vague qui termine aussi le p de Arp, ce dernier s’écrivant arp

Ceci dit, ces ouvrages que sont « Jours Effeuillés » « Sable de Lune » et « La Grande Fête sans fin » offrent une grande variété de poèmes, souvenirs et essais de Jean Hans Arp, accessible aux lecteurs francophones. Et c’est une très bonne chose. Si l’on connait relativement bien son œuvre de plasticien, son œuvre poétique est encore mal connue, malgré l’admirable « Jours Effeuillés ». Ce qui est paradoxal, car l’artiste a toujours privilégié son travail d’écriture. Si par impossible j’étais obligé de choisir entre l'œuvre plastique et la poésie écrite, si je devais abandonner, soit la sculpture, soit les poèmes, je choisirais d'écrire des poèmes. Si dans ses derniers textes, il fait preuve d’une plus grande spiritualité, sa poésie reste toute empreinte d’humour. Et comme il aimait à la dire. « L'humour c'est l’eau de l'eau-delà mêlée au vin d'ici-bas ».

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Logbuch

« Logbuch » de Jean Arp (1983, Arfuyen, 48 p.), traduit par Aimée Bleikasten de « Logbuch des Traumkapitäns » (Le livre de bord du capitaine des rêves), avec une illustration à l’encre. Les textes, bilingues, reprennent ceux d’un recueil paru auparavant (1965, Arche Verlag, Zurich, 55 p.) avec 8 illustrations en noir et blanc. Le petit recueil comporte aussi, en plus des 19 poèmes, le cycle des poèmes « Krambol », paru dans la revue « Recherches Germaniques », traduit par Andrée Bleikasten « KRAMBOL ou les Petites Madeleines de Hans Arp » 1981, Revue Germanique, Strasbourg, p. 246-258).



« Logbuch » raconte d’où Hans Arp vient, né à côté de sa chère cathédrale « N’aviez vous pas à l’instant le sentiment / que vous étiez la cathédrale de Strasbourg / devenue hirondelle ». On retrouve ce parallèle entre bâtiment et oiseau dans « Jours effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.). Ce procédé de réutiliser des phrases ou des idées, en les polissant à chaque fois, c’est un peu aussi sa façon de procéder en sculpture. Il réutilise un même vers dans plusieurs textes ou des versions différentes d’un même texte selon des publications successives.

Il y a en plus sa sempiternelle interrogation « qui suis-je » « Who is who », « Je tu il nous vous ils » dans laquelle il écrit « Qui suis-je ? / Si je suis moi / n’est pas facile à dire ».

Depuis, il se promène. Sur le sentier « qui de Grendelbruch / mène aux ruines de Guirbaden ». C’est dans les Vosges, où ses parents avaient une maison, pas très loin de Boersch. Ruines de château qui reviennent dans « Krambol » sous la forme de « un nuage dur comme pierre ».

« Qui suis-je ? » qui revient encore, et toujours. Son interrogation sans cesse dans « Jours effeuillés » et sa réponse « un hideux lambeau / du sabbat sanglant des mères-patries ». Il en appelle à la réconciliation. « Je crois qu’il est plus commode / que Toi et Moi / nous ne fassions qu’Un de nouveau ». Il est indéniable que la guerre a marqué Hans Arp. Plusieurs textes de « Jours Effeuillés » y font allusion. Notamment, en 1933 « La Cigogne enchaînée », sous-titrée « Nouvelle patriotique et alsacienne ». Cela débute fort. « L’Alsace, comme son nom l’indique, est un pays appelé aux plus hautes destinées. C’est le pays le plus propre du monde : il change de chemise tous les trente ans ». C’est alors le brun qui domine.

Il convient de rappeler la façon dont Hans Arp se fait réformer lors du conflit en 1914. La guerre est déclarée, l’Allemagne le réclame. Alors domicilié en Suisse près de Zurich, il se rend au consulat allemand de Zurich. Il se déshabille et « fit le signe de croix devant un portrait du maréchal Hindenburg, et comme on lui demandait son âge, écrivit sa date de naissance plusieurs fois répétée sur une colonne / 16 septembre 1887 / 16 septembre 1887/ 16 septembre 1887 / 16 septembre 1887 / tira un trait et inscrivit au total de cette singulière addition un nombre gigantesque ». Le résultat devait être juste car il obtint d’être réformé et fut exempté du service armé. L’anecdote est également rapportée par Leonora Carrington, mais comme étant racontée par l’oncle Ubriaco dans « Histoire du Petit Francis » dans le tome II de « L’œuvre Ecrit » (2022, Fage, 432 p.). Le marquis cite le cas d’un jeune homme, Ulrich Weg, à qui le docteur, je pense lors du Conseil de Révision « a demandé d’écrire son domicile, sa nationalité, son nom » et qui a écrit « 1914 » en face de toutes les questions, fait une addition et présenté la réponse. Donc, à part la personne et la date, on retrouve l’anecdote de Jean Arp.



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Jours effeuillés: Poèmes, essais, souvenirs 192..

« Jours Effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.) est un recueil de poèmes, essais et souvenirs de Jean Hans Arp, écrits entre 1920 et 1963. J’ai eu la chance d’acquérir, il y a un certain temps, un des 2300 exemplaires numérotés, et non coupés, que je consulte régulièrement. « Jours Effeuillés » possède une longue introduction, d’une vingtaine de pages, écrite par Marcel Jean, surréaliste et ami de Arp. Il n’y a pas beaucoup d’autres ouvrages de Jean Hans Arp. Trois petits opuscules récents « Logbuch » (1983, Arfuyen, 47 p.), « Sable de Lune » (2005, Arfuyen, 197 p.), « La Grande Fête sans fin », tous les trois traduits par Aimée Bleikasten (2014, Arfuyen, 240 p.). Enfin pour les dernières années, il est bon de rajouter l’ouvrage de Agathe Mareuge « Petite Eternité - L’œuvre poétique tardive de Jean Hans Arp » (2019, Les Presses du Réel, 639 p.).

En allemand, je connais un « Unsern täglichen Traum: Erinnerungen, Dichtungen und Betrachtungen aus den Jahren 1914-1954 » (Notre rêve quotidien : souvenirs, poèmes et réflexions des années 1914-1954) (1995, Arche Literatur Verlag AG, 120 p.). Ainsi que « Ich bin in einer wolke geboren - Je suis né dans un nuage : Gedichte / Poèmes » édité par Christian Luckscheiter et Hansgeorg Schmidt-Bergmann (2018, Mitteldeutscher Verlag, 136 p.). Il y a tout de même les trois tomes de « Gesammelte Gedichte I, II, III » édités par Marguerite Arp-Hagenbach et Peter Schifferli (1963, 1974, 1984, Arche, Zurich, 248, 256, 266 p.). Ces trois volumes, en allemand couvrent les périodes de 1903-1939, 1939-1957 et 1957-1966 respectivement. Sont annoncés, mais sans date, ni nom d’éditeur ou d’éditrice, un quatrième tome de « Gesammelte Gedichte IV » ainsi que un volume de prose « Gesammelte Prosa » et la correspondance complète « Gesammelte Briefe ».

On pourra ajouter le petit livre écrit sur le principe des « Cadavres exquis » en commun avec Sophie Taüber, Hans Arp, Max Ernst, Leonora Carrington, Paul Eluard, Marcel Duchamp et intitulé « L’homme qui a perdu son squelette » (2019, Fata Morgana, 40 p.).

Je me suis replongé dans les œuvres de Hans Arp, au cours de la lecture des œuvres de Leonora Carrington en trois tomes de l’« Œuvre Ecrit » en tant que « Contes », « Récits », et « Théâtre » (2021-2022, Fage, 208, 432, et 376 p.).

Hans Peter Wilhelm Arp (1886-1966) est né à Strasbourg, au pied de la cathédrale, au 52, rue du Vieux Marché-aux-poissons, au coin de la rue Mercière qui débouche sur la cathédrale. ». Il fait assez souvent référence à sa jeunesse alsacienne. « Je suis né dans la nature. je suis né à Strasbourg. je suis né dans un nuage. je suis né dans une pompe. je suis né dans une robe ». Dès l’enfance il était trilingue, français, allemand, alsacien. « J’ai grandi avec ces trois idiomes, dont je me sers suivant les circonstances ». Comme tout alsacien, né après l’annexion, et une mère, Marie Joséphine Köberlé, qui n’a étudié « la langue de l’occupant » que après 1871. Il aime à se donner le double prénom de Hans et Jean, parlant français avec ses parents, allemand à l’école et surtout alsacien avec ses amis. Etudes des beaux-arts à l'École d'art de Weimar et à l'Académie Julian à Paris. Mais celà ne convient pas à son envie de création. Trop académique. En 1908, la famille Arp s'établit en Suisse à Weggis, à côté de Lucerne. Il raconte cette jeunesse dans « Unsern Täglichen Traum » (Notre rêve quotidien) (1995, Arche, Zurich, 120 p.). C’est la genèse de sa vocation.

Il fait alors la connaissance de Paul Klee en 1909 et participe à des expositions, dont celle du « Blaue Reiter » en 1912. C’est un groupe d'artistes expressionnistes, qui s'est formé à Munich autour de Vassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke. Début 1916, Hugo Ball, écrivain, traducteur de Henri Barbusse, Léon Bloy et Arthur Rimbaud, en exil à Zurich avec sa compagne, Emmy Hennings, poète et danseuse, fondent le « Cabaret Voltaire », à Zurich dans Spiegelgasse, à mi-chemin entre la gare et le lac. Ils invitent les « jeunes artistes et écrivains dans le but de créer un centre de divertissement artistique, […] à [les] rejoindre avec des suggestions et des propositions ». Avec Marcel Janco, Tristan Tzara et Sophie Taüber, ils fondent le mouvement « dada » et exposent plusieurs ouvrages de la collection « dada », comme « Le Passager du Transatlantique » de Benjamin Péret (1921, Collection DADA, Paris, 28 p.) et « Vingt-cinq poèmes », de Tristan Tzara, illustré par Jean Arp, réédité récemment (2006, Dilecta, 56 p.). Ce qui provoque chez Louis Aragon « le plus grand trauma poétique ». L'extraordinaire complicité du poète et du plasticien, avec une composition typographique étroite et massive, suggérée par Hans Arp en font l'un des livres illustrés majeurs du mouvement Dada. C'est le troisième volume de la Collection Dada, après « La Première Aventure céleste de Mr Antipyrine » (2005, Editions Dilecta, 20 p.) de Tristan Tzara.

Hans Jean Arp épouse Sophie Taüber, qu'il a connue à Zurich. En 1926, il est naturalisé français. En 1927-1928, le couple se fait construire une maison et atelier à Clamart, dont Sophie a dressé elle-même les plans. Puis le couple, et l’architecte hollandais Theo van Doesburg décorent le bâtiment de l’Aubette à Strasbourg, complètement rénové. Le premier étage qui est destiné à servir de foyer-bal, est conçu par Sophie Taüber-Arp et décoré de motifs rectangulaires de couleur. C’est un des lieux les plus significatifs de l’art de cette époque, qui fut qualifié de « Chapelle Sixtine de l'art moderne ». Deux campagnes récentes de restauration ont eu lieu pour la salle de ciné-bal et ont permis de remettre à neuf l'escalier d'accès au premier étage, la salle des fêtes et le foyer-bar. Le trio décore ensuite, dans le même style, l’Hôtel Hannong, rue du 22 Novembre, à côté de la Place Kléber, qui vient d’ouvrir à Strasbourg.

Arp est à l'origine d'un vocabulaire de signes aux allusions figuratives et ironiques. Les premières œuvres de plâtre et de marbre datent de 1930. À partir de cette data, la sculpture en ronde-bosse prend une place importante dans son œuvre. L’œuvre n'est pas physiquement attachée à un fond mais repose sur un socle. Elle peut alors être observée sous n'importe quel angle, même si la partie postérieure n'est pas toujours achevée. Il en résulte des formes qui, par leur matière, leur volume, peuvent être comparées, voire confondues avec des formes naturelles.

C’est de cette époque que datent ses œuvres « La Trousse du Naufragé » (1920-1921), qui rassemble des fragments de bois flottés, façonnés par l’eau, formant une hache et un couteau. Ou alors ce sont des sculptures aux titres poétiques pleins d’humour « Nombril et deux idées » (1932), plâtre blanc et plâtre teinté bleu. « Dans la chair dépliée et détenue / marchent les hommes de la Terre / sur le nombril deux idées / marchent le long du quai-rocher ». Toutes deux sont exposées au « Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg » (MAMCS).

En 1940, Arp et sa femme se réfugient dans le sud de la France, puis en Suisse. Sophie y meurt accidentellement en 1943 suite à une intoxication par un poêle à ventilation défectueuse. En 1946, Arp revient en France. Son œuvre commence à être reconnue internationalement. Il meurt à Bâle en 1966, avec ces derniers mots « Je vous aime tous, et je m'en vais maintenant rejoindre ma Sophie ».



« Jours Effeuillés » rassemble donc des textes de1920 à 1965, après une longue et détaillée préface de Marcel Jean d’une vingtaine de pages. Chaque année est illustrée par un dessin en noir et blanc, ce qui est encore beau, un peu comme le pont de Strasbourg. Parmi les textes proposés, une « configuration strasbourgeoise » de 1931, qui inclue (entre autres) « La cigogne enchaînée », le chapitre 4 de « l’Homme qui a perdu son squelette » (1939), des « Poèmes sans prénoms » (1941), « Le blanc aux pieds de nègre » (1945), « Rêves et projets » (1952), « Le voilier dans la forêt » (1957) et « Vers le blanc infini » (1960), ainsi que de nombreux inédits de ce laps de temps.



« Jours Effeuillés » comporte évidement « La Cigogne enchaînée », sous-titrée « Nouvelle patriotique et alsacienne », datée de 1933. Cela débute fort. « L’Alsace, comme son nom l’indique, est un pays appelé aux plus hautes destinées. C’est le pays le plus propre du monde : il change de chemise tous les trente ans ». Là, on en était à la couleur brune. Plus loin, il réécrit l’histoire. « La bataille d’Hastings faisait rage. M. Hastings lui-même commandait. Trois couches de cadavres jonchaient le sol. Entre chacune d’elles il y avait une couche de jambon. […] Pendant ce temps, le petit caporal débarquait de l’île des Cygnes avec trois régiments de soldats pas encore inconnus. […] Le canon tonnait, une pluie de balles depuis quarante jours et quarante nuits tombait ». Tout cela pour en arriver aux « deux cigognes enchaînées, qui, l’auteur l’aura compris, personnifiaient les provinces captives que tout pays possède à l’étranger ». Heureusement « l’Alsace ayant envahi la Lorraine, et les Lorrains étant en complète déroute, la guerre fut terminée ». Et en conclusion. « La répartition des médailles, des décorations et des caramels commémoratifs dura six mois ». C’est alors que « l’on fonda la grande Société des Visions ». Mais « par un jour de chaleur, la société fondit complètement ». Intéressant de lire ce raccourci historique dont la conclusion, en 1933, était prémonitoire.

Il faut dire, que comme la plupart des alsaciens, il a été fortement marqué par la guerre. « Dégoûtés par la tuerie de la guerre mondiale en 1914, nous nous sommes consacrés aux beaux-arts à Zurich. Tandis qu'au loin le tonnerre des canons grondait, nous chantions, peignions, collions, écrivions de toutes nos forces. Nous recherchions un art élémentaire qui guérirait les gens de la folie des temps et un nouvel ordre qui rétablirait l'équilibre entre le ciel et l'enfer ».

« L’homme qui a perdu son squelette » est un cadavre exquis écrit d’après l’idée de Sophie Taüber, avec Hans Arp, Leonora Carrington, Paul Eluard, Marcel Duchamp, illustré par Max Ernst (2019, Fata Morgana, 40 p.). Pour l’année 1939, il y a le chapitre 4 « Le Squelette en vacances », Deux pages et demi dans lesquelles « le squelette était joyeux comme un fou à qui on enlève sa camisole de force ».

Sans « Bestiaire sans prénom » (1940), on fait connaissance avec la famille paillon. « le papillon empaillé / devient un papapillon empapaillé / le papapillon empapaillé / devient un grandpapapillon grandempapaillé ».

Que penser de « Le blanc aux pieds de nègre » qui « marchait sur l’eau, remontant la Seine en aval du Pont des Arts ». C’est le prélude à « L’etc blanc » et à « La grande femme blanche » qui a « la grande bouche aux dents d’éléphant et aux pieds de caoutchouc », à ne pas confondre avec « L’éléphant tyrolien » (1945).



Il parle aussi dans ses souvenirs de sa définition de l’art, de l’« Art Concret » (1944). « Nous ne voulons pas copier la nature. Nous ne voulons pas reproduire, nous voulons produire. Nous voulons produire comme une plante qui produit un fruit et ne pas reproduire. Nous voulons produire immédiatement et non par truchement. Comme il n’y a pas la moindre trace d’abstraction dans cet art nous le nommons : art concret ».

Cependant, il est difficile de faire des coupures dans l’évolution de son œuvre. Comme cela a été écrit auparavant, un poème ou même un vers est souvent repris plusieurs fois de suite, éventuellement modifié. Une seule vraie coupure, c’est en 1943, avec la mort accidentelle de sa femme Sophie Taüber. Bien qu’il se remarie en 1959 avec Marguerite Hagenbach, ce n’est plus pareil même s’ils se fréquentent depuis plus longtemps. Le couple Hans-Sophie était réellement fusionnel, et leur collaboration était le ressort essentiel de leur mode de création. Il écrit à son propos :« Elle dansait et rêvait / un triangle, un rectangle, / un rectangle dans un cercle, / un cercle dans un cercle, / un cercle qui luit, / un cercle qui sonne, / un rectangle immobile avec beaucoup / de petits cercles sonnants, / elle rêvait nuit et jour de cercles vivants ». Cela se note aussi dans sa production. Après 1943, pas une année sans qu’il y ait un poème avec le nom de Sophie, ou des « Duo-Dessins ». Ces derniers sont des reprises de dessins et collages de Sophie Taüber, déchirés puis réassemblés et recollés. C’est un hommage qu’il rend à Sophie. Ces dessins mêlent le vocabulaire formel de Sophie qui relève de l’abstraction géométrique au biomorphisme typique de Hans Arp. Le contraste entre ces deux approches est renforcé par la différence de couleurs, en aplats blancs et gris. Les deux parties fusionnelles forment une alliance en miroir.



Il faut attendre 1952 pour voir paraître « Rêves et Projets » et surtout « Wortträume und schwarze Sterne » (Rêves de mots et Etoiles noires) une sélection de poèmes de 1911-1952, (1953 Limes Verlag, 92 p.). Il y explique son processus de création des poèmes. « Des poèmes avec un nombre limité de mots, des mots qui apparaissent dans différentes constellations ». Un processus similaire à la façon dont il organise ses sculptures, à partir de morceaux de bois. Lire à ce propos le livre de Cécile Bargues « Sophie Taeuber-Arp, les dernières années » (2022, Fage Editions, 96 p.).

Il faut aussi signaler sa période Dada. Début 1916, Hugo Ball, écrivain, traducteur de Henri Barbusse, Léon Bloy et Arthur Rimbaud, en exil à Zurich avec sa compagne, Emmy Hennings, poète et danseuse, fondent le « Cabaret Voltaire », à Zurich dans Spiegelgasse, à mi-chemin entre la gare et le lac. Ils invitent les « jeunes artistes et écrivains dans le but de créer un centre de divertissement artistique, […] à [les] rejoindre avec des suggestions et des propositions ». Marcel Janco (1895-1984), peintre, passe devant le local, entend de la musique entre et « découvre un personnage “gothique” jouant du piano ». C'était Hugo Ball, qui lui propose d’exposer sur les murs du cabaret. Janco revient accompagné de ses amis, Hans Arp, Sophie Taeuber et Tristan Tzara. « Janco a fait un certain nombre de masques […] conçus pour être vus à distance, qui font un effet incroyable ». Ensemble, ils fondent le mouvement « dada » et exposent plusieurs ouvrages de la collection « dada », comme « Le Passager du Transatlantique » de Benjamin Péret (1921, Collection DADA, Paris, 28 p.) et « Vingt-cinq poèmes », de Tristan Tzara, illustré par Jean Arp, réédité récemment (2006, Dilecta, 56 p.). Ce qui provoque chez Louis Aragon « le plus grand trauma poétique ». L'extraordinaire complicité du poète et du plasticien, avec une composition typographique étroite et massive, suggérée par Hans Arp en font l'un des livres illustrés majeurs du mouvement Dada. C'est le troisième volume de la Collection Dada, après « La Première Aventure céleste de Mr Antipyrine » (2005, Editions Dilecta, 20 p.) de Tristan Tzara, avec 7 bois colorés de Marcel Janco et « Phantastische Gebete » (Prières fantastiques) de Richard Huelsenbeck (1993, Anabas-Verlag, 87 p.).

A vrai dire, ce premier manifeste dada est assez cryptique. Il y en aura sept en tout, tout aussi obscurs, écrits par Tristan Tzara entre 1916 et 1920. « Sept manifestes DADA Lampisteries » (1963, Jean-Jacques Pauvert,156 p.). Il commence par un dialogue entre Mr Bleubleu, Mr Cricri, la Femme Enceinte, Pipi et Mr Antipyrine. Ce dernier a de la conversation « Soco Bgaï Affahou / zoumbaï zoumbaï zoumbaï zoum ». Je dois reconnaître que la critique aide beaucoup à la compréhension du texte. « Cette liquidation métaphorique de l'écriture phonétique instaure un syllabaire (dada) qui se définit par une sonorité (oralité) libre des contingences syntaxico-sémantiques. L'oral se trouve ainsi inscrit dans ces mots-syllabes agrammaticaux qui renforcent la nature bruitiste (lautgedicht) de la graphie tzarienne ».



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