Honneur à nos auteurs, qui préparent activement le numéro 1 : aujourd'hui Jean-Baptiste Veber, enseignant et auteur, nous donne sa vision de ce qu'est un lieu pour le géographe. A partager sans modération, sans oublier l'adresse https://fr.ulule.com/ame-lieux/ pour participer à l'aventure. Merci, on a toujours besoin de vous !
Le visage de sa mère, costamment décomposé par l'inquiétude, ne contribuait qu'à faire grandir son angoisse quant à l'issue de son odyssée. Et il avait raison de se tourmenter : au bout d'un moment, il fut écartelé sur une table glacée ; puis un être au visage intégralement voilé parut, tenant en main une seringue, dont la vision suscita chez sa mère ce cri de désespoir : "Elle est plus grande que lui !"
En fait une aventure c'est comme une bonne histoire sauf que c'est toi qui la fais.
Dès le lever, il se mit à protester contre ce qu'on l'obligeait ou lui proposait de faire : quoi de plus désagréable que le moment où ses parents l'extrayaient de son lit douillet, chauffé à souhait ! Quoi de plus détestable que la première cuillerée de compote, mal enfournée en bouche à cause du manque de sommeil de papa ! Quoi de plus insupportable que ce passage soi-disant obligé de la couche, puis de la toilette, où il était tourné, arrosé en tous sens ! Quoi de plus ennuyeux, ensuite, qu'une matinée passée à la fenêtre ensoleillée, dans le siège de bébé dont la structure lui étrillait les côtes !
Il faut avoir la main verte avec l'homme ; l'homme, c'est comme une belle plante, alors les enfants, c'est encore plus subtil, je vous en parle pas, des roses, qui peuvent casser à tout moment...
Sa femme non de Dieu, qui le hait suffisamment pour s'en venir planter dans le dos... si ça donne pas une vraie idée du mal... de jusqu'où peut descendre l'humaine nature... Quand on en entend de pareilles, qu'on s'étonne plus que l'actualité ressemble à l'abattoir, la société à une plante carnivore.
Il ne savait pas encore que tous les grands moments de l'existence, toutes les décisions stratégiques, toutes les actions décisives qui déterminent le destin de chacun se passent toujours comme une lettre à la poste, avec réception parfois au mauvais destinataire - mais en tout cas sans que l'on ait le temps de bien réaliser le déroulement de la chose. Tout ce à quoi est réduit l'être humain, tout ce qu'il peut prétendre faire, est de se tenir prêt à ressentir au plus intense les événements lorsqu'ils se produisent.
Igor se mit à multiplier ses personnages selon les publics qu'il avait à affronter : audacieux et docile devant la maîtresse, mais taquin et moqueur pour le reste de la classe, dès que cette dernière avait le dos tourné - câlin et poli envers ses parents, bavard et rigolo quand venaient ses amis, amoureux et attentif lorsqu'il s'occupait de Lou, protecteur à l'endroit de son petit frère, respectueux à l'égard de ses grands-parents...