AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de LaFfReUjOjO


S’attaquer à la représentation n’a plus beaucoup de sens non plus. On sent bien que tous les conflits étudiants (comme, plus largement, au niveau de la société globale) autour de la représentation, de la délégation de pouvoir, pour la même raison, ne sont plus que des péripéties fantômes qui suffisent encore pourtant, par désespoir, à occuper le devant de la scène. Par je ne sais quel effet de Moebius, la représentation elle aussi s’est retournée sur elle-même, et tout l’univers logique du politique se dissout du même coup, laissant la place à un univers transfini de la simulation, où d’emblée personne n’est plus représenté ni représentatif de quoi que ce soit, où tout ce qui s’accumule se désaccumule en même temps, où même le phantasme axial, directif et secourable du pouvoir a disparu. Univers pour nous encore incompréhensible, méconnaissable, d’une courbe maléfique à laquelle nos coordonnées mentales orthogonales et dressées à l’infini linéaire de la critique et de l’histoire, résistent violemment. C’est pourtant là qu’il faut se battre, si même cela a encore un sens. Nous sommes des simulants, nous sommes des simulacres (pas au sens classique d’ »apparence »), des miroirs concaves irradiés par le social, irradiation sans source lumineuse, pouvoir sans origine, sans distance, et c’est dans cet univers tactique du simulacre qu’il va falloir se battre -sans espoir, l’espoir est une valeur faible, mais dans le défi et la fascination. Car il ne faut pas refuser la fascination intense qui émane de cette liquéfaction de toutes les instances, de tous les axes de la valeur, de toute axiologie, politique y compris. Ce spectacle est notre force essentielle. Nous ne sommes plus dans un rapport de force incertain ou victorieux, mais politique, envers le capital, ça, c’est le phantasme de la révolution. Nous sommes dans une rapport de défi, de séduction et de mort envers cet univers qui n’en est plus un, puisque précisément toute axialité lui échappe. Le défi que nous lance le capital dans son délire -liquidant sans vergogne la loi du profit, la plus-value, les finalités productives, les structures de pouvoir, et retrouvant au terme de son processus l’immortalité profonde (mais aussi la séduction) des rituels primitifs de destruction, ce défi-là, il faut le relever dans une surenchère insensée. Le capital est irresponsable, irréversible, inéluctable comme la valeur. A lui seul il est capable d’offrir un spectacle fantastique de sa décomposition - seul plane encore le désert des structures classiques du capital le fantôme de la valeur, comme le fantôme de la religion plane sur un monde depuis longtemps désacralisé, comme le fantôme du savoir plane sur l’Université. A nous de redevenir les nomades de ce désert, mais dégagés de l’illusion machinale de la valeur. Nous vivrons dans ce monde, qui a pour nous toute l’inquiétante étrangeté du désert et du simulacre, avec toute la véracité des fantômes vivants, des animaux errants et simulants que le capital, que la mort du capital a fait de nous - car le désert des villes est égal au désert des sables - la jungle des signes est égale à celle des forêts - le vertige des simulacres est égal à celui de la nature - seule subsiste la séduction vertigineuse d’un système agonisant, où le travail enterre le travail, où la valeur enterre la valeur - laissant un espace vierge, effrayé, sans frayages, continu comme le voulait Bataille, où seul le vent soulève le sable, où seul le vent veille sur le sable.
Qu’en est-il de tout cela dans l’ordre politique?
Si peu de choses.
Mais nous devons nous battre aussi contre la fascination profonde qu’exerce sur nous l’agonie du capital, contre la mise en scène par le capital de sa propre agonie, dont nous sommes les agonisants réels. Lui laisser l’initiative de sa propre mort, c’est lui laisser tous les privilèges de la révolution. Cernés par le simulacre de la valeur et par le fantôme du capital et du pouvoir, nous sommes bien plus désarmés et impuissants que cernés par la loi de la valeur et de la marchandise, puisque le système s’est révélé capable d’intégrer sa propre mort, et que la responsabilité nous en est ôtée, et donc l’enjeu de notre propre vie. Cette ruse suprême du système, celle du simulacre de sa mort, par où il nous maintient en vie en ayant liquidé par absorption toute négativité possible, seule une ruse supérieure peut la prévenir. Défi ou science imaginaire, seule une pataphysique des simulacres peut nous sortir de la stratégie de simulation du système et de l’impasse de mort où il nous enferme.
Mai 1976
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}