Les révolutions ont toujours été déclenchées par l'intensité des états émotifs des individus : une montée de la colère, de la peur, de la tristesse et même parfois de la joie d'une partie des membres d'une communauté suffit à renverser le système.
Toutes les colères sont-elles justifiées, légitimes ? Probablement que non. Mais toutes les colères ont des causes qui peuvent être résolues.
Elle vomit ses collègues et leurs moqueries, ces connards présomptueux qui maquillent leurs vies de merde pour mieux cracher sur les autres. Elle vomit le milieu de l'entreprise et ses règles si barbares. La course au profit qui pousse les individus à oublier leur morale. Elle vomit cette ville nauséabonde aux loyers si élevés où ils s'entassent comme des poules, abrutis par l'odeur de purin et souillés par la pollution. Elle vomit la bêtise du monde, la tyrannie de la médiocrité, l'avènement de la bassesse et de la trahison, la passivité des idiots et la vacuité de leurs esprits si simples. Elle vomit les benêts à commencer par ce vieil homme, Alain Denis, qui est venu dans leurs locaux car on lui a dit de venir. Qui écoute sans broncher, qui ne remet rien en question, qui a trop peur, qui n'ose pas affronter la vraie méchanceté de l'univers, sa vraie puanteur. Elle vomit à la fois cet homme si fragile et le monde sans pitié qui le broie.
Notre démarche a consisté à œuvrer dans l'ombre pour apporter les éléments nécessaires à l'émergence de leur révolte. Pour qu'une fleur pousse, il ne faut pas lui apprendre à grandir, mais lui donner les ingrédients essentiels à son développement. Nos actions permettent de faire germer l'insoumission et d’enclencher la pollinisation de nos insurrections. Ils ont voulu qu'on reste en terre, alors nous avons pris racine pour mieux montrer notre vraie nature. Nous sommes des roses, des mauvais herbes, des arbres fruitiers. Nous sommes la force d'un jardin sauvage immunisé contre leurs traitements nocifs.
Le mot société vient du latin "societas" qui veut dire association, réunion. Une société est un groupe d'individus qui ont établi des relations durables. C'est l'essence même d'une société de chercher à s'ancrer dans le temps, de développer un modèle qui assure sa stabilité. Au contraire, le mot "émotion" est issu du mot "motio" qui signifie "mettre en mouvement". (...) Société et émotion sont donc deux notions opposées : on a d'un côté la stabilité d'un collectif contre de l'autre le mouvement d'un individuel.
Paul Ekman, le plus grand psychologue du XXe siècle, a défini le dégoût, la peur, la tristesse, la colère et la joie comme les cinq émotions universelles. Si on réfléchit à chacune d'elles, on comprend qu'une émotion est ce qui nous permet d'avoir une réaction face au monde extérieur.
Un monde sans émotion est peut-être un monde meilleur. C'est un monde sans pleurs, sans cri, sans douleur.
(...)
Mais ce serait surtout une société qui n'avancerait pas. Le système en place le serait à jamais.
La vie relève d'une complexité dont il est difficile de saisir l'essence. Le monde est imparfait. Son regard sur nous est forcément douloureux, mais s'y soustraire ne suffit pas à arranger les choses.
Anna s'est aperçue que c'était son détachement face à cette scène, dans laquelle elle avait pourtant le rôle central, qui lui permettait de percevoir et d'analyser les émotions des autres. C'est quand elle a voulu cerner ce qu'elle ressentait, décrypter ses propres ressentis, que cela lui est devenu soudainement évident : elle n'en avait plus.
Alain s'est toujours méfié de tous ces gens, depuis qu'il est arrivé dans cet immeuble de fous où les habitants ne sont que des bêtes sanguinaires capables des pires crimes. Il l'a vu à la télévision, on lui a expliqué que la société est devenue malade, que le monde est dangereux. Ils sont tous des suspects. Presque coupables.