L'enfant prodigue de Jean-Louis Kuffer
03-03-2011
Tout nous échappe de plus en plus, avions-nous pensé, mais c'est aujourd'hui de moins en moins qu'il faut dire puisque tout est plus clair d'approcher le mystère prochain, tout est plus beau d'apparaître pour la dernière fois peut-être - vous vous dites parfois qu'il ne restera de tout ça que des mots sans suite, mais avec les mots les choses vous reviennent et leur murmure d'eau sourde sous les herbes, les mots affluent et refluent comme la foule à la marée des rues du matin au soir - et les images se déplient et se déploient comme autant de reflets des choses réelles qui viennent et reviennent à chaque déroulé du jour dans son aura
Celui qui sait parler des blancs de Cézanne / Celle qui sent la peinture comme personne/ Ceux qui rêvent en couleurs noircies au bitume de l’angoisse / Celui qui reste trois heures immobile devant la Madone de Duccio / Celle qui entre dans les paysages de Caspar David Friedrich / ..... Celle qui brode la Vierge au Rocher au point de croix / Ceux qui sortent du musée Van Gogh avec le même tee-shirt cool de l’homme à l’oreille coupée / Celui qui fait de la peinture parce que l’odeur de l'huile le grise.
Ceux qui reçoivent des couvertures et du lait condensé / Celui qui donne son gilet pare-balles à une jeune femme enceinte / Celle qui n’a plus même de haine en elle / Ceux qui espèrent que la guerre au
Liban va relancer le tourisme en ville de Genève /
"Une cigarette tue un lapin, disait Grossvater. On ne doit pas fumer: c'est mal. C'est un péché. Dieu ne sera pas content s'Il vous voit fumer. Dix cigarettes tuent un cheval.
Lorsque Dieu créa le monde, Il le fit comme il faut. Alors, personne ne fumait, ni ne buvait, ni ne gaspillait son argent. Dieu n'a pas créé la cigarette ni les tavernes. Il n'a pas pu vouloir ça.
Dieu a tout de suite tout arrangé "tiptop*" dans le Jardin, disait Grossvater."
"*tiptop - d'une façon parfaite. Propre-en-ordre"
Dans le noir, on ne voit plus la distance entre les choses.
Celui qui proclame la nécessité de demander au violoniste chilien du Groupe de Conscience Homo où il se situe politiquement par rapport au passé facho de son pays / Celle qui n’a jamais pardonné à son père de l’avoir obligée à passer toutes leurs vacances à Torremolinos du vivant de Franco cette ordure absolue / Ceux qui voient surtout l’aspect hygiénique d’une morale collective imposée par des lois claires et nettes nom de Dieu /
Ceux qui se sont retrouvés pour accueillir la mort ensemble / Celui qui évite de penser à tout ce qu’il sait essentiel / Celle qui trouve les mots trop grands pour ses sentiments / Ceux qui n’osent pas dire qu’ils s’aiment /