En raison du manque de matière organique, peu de plantes réussissent à y survivre. On y trouve des végétaux à faibles besoins comme la sphaigne ou des plantes carnivores, obligées de se nourrir d'insectes. Le drosera, par exemple, peut absorber plus de deux mille insectes par saison. La description correspondait en tous points au village. Une mentalité du dix-neuvième siècle, des gens qui se contentaient de peu et d'autres qui avaient besoin de se nourrir d'éléments extérieurs. À quelle catégorie sa tante appartenait-elle ? Il frissonna en pensant à son propre rôle dans l'histoire. Il ne faisait guère de doutes qu'il était l'insecte.
L'Embaumé, dans sa précipitation, n'avait pas tout vérifié. Soixante-deux ans plus tard, cette unique erreur de sa part allait lui être fatale. Le lendemain, il ajoutait la photo de la gourmette dans le dossier. Il avait écrit au dos, à l'aide d'un crayon de bois, les circonstances de sa découverte. Il enferma le tout dans une épaisse enveloppe et se rendit à la Poste. Lorsque son tour vint, il déposa son paquet sur le guichet et se contenta de dire:
- Pour l'Allemagne.
- En urgent?
- Oui, s'il vous plaît. Il attend depuis si longtemps...
À la fin de chaque semaine, il faisait les comptes. Il évaluait le prix des scooters volés, des abribus brûlés. Il estimait les préjudices causés par les fraudes fiscales, les employeurs qui embauchaient au noir...Puis il comparait. Et il n'y avait pas photo. Chaque semaine, dans le sud-ouest de la France, la page de droite coûtait beaucoup plus cher que la page de gauche. Et on ne parlait pas d'aller raser les immeubles bourgeois du centre-ville.
Un matin, en revenant de promenade, Bouysse acheta un grand cahier et un tube de colle. Puis il commença à collecter tous les articles consacrés aux malversations et larcins dont la presse se faisait l'écho. Sur la page de gauche, il collait tout ce qui concernait la délinquance dite des cités. À droite, les articles consacrés à la délinquance en col blanc.
Bouysse avait réussi à retrouver un équilibre dans sa vie. Il venait maintenant de lui trouver un sens. Il se mit alors à coller les comptes-rendus des tribunaux. Là aussi, page de droite et page de gauche sur un autre cahier.
Face à l'injustice criante des délibérés, l'ancien garagiste comprit qu'il ne pouvait pas laisser faire. Qu'il ne devait pas laisser faire. Il fallait rééquilibrer les plateaux de la balance.