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Citation de jmlire92


Mais les corps avaient changé. La mutation datait des années quatre-vingt, à la croisée de l'apparition du sida et de la disparition de la gauche. Le plaisir n'avait pu se revancher de la fin des utopies. Le peuple, les masses n'effrayaient plus. Le danger, c'était désormais le corps de l'autre, le corps singulier, possiblement infecté, létal. Le soupçon gangrenait toute rencontre. Le sexe des hommes devaient se gainer de latex. Le port de la capote avait sonné le glas des acquis muqueux des années soixante-dix. Elle préservait de tout sauf de l'ennui. Le spleen avait pris ses quartiers dans un monde sans pitié, et l'angoisse muté plus vite que le virus du sida .À la peur de faire l'amour, se greffèrent celles de perdre son métier, de manger de la viande folle, d'attraper la grippe des oiseaux, de boire de l'eau du robinet, de respirer la fumée du voisin. À la peur s'engrenait la peur de la peur, déclenchant des épidémies de précautions, d'interdictions, relayées en continu, à flux tendu, sur des murs d'écrans. En trente ans, soumis à la pression d'une énorme accélération technique, les corps avaient subi un terrible effet de blast : hématomes psychiques, décrochages du cœur, descentes d'organes. Pris dans l'étau du soupçon, certains avaient tenté de s'innocenter, en présentant des surfaces enfantines, vierges ( femmes aux ventres glabres de poupées, hommes aux crânes lisses de baigneurs ). D'autres avaient pris les devants sur les chemins de l'abattoir, en se tatouant comme des quartiers de viande, ou en se perçant le nez, les lèvres, le nombril, les organes génitaux. Les plus fragiles, les plus démunis s'étaient exilés dans l'obésité ou l'anorexie.
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