Jean-Marc Rigaux

Au trente-septième, John Kipjiru prit la tête pour la première fois et, mètre après mètre, sans un regard pour Big Ben, se détacha. On le comprit. Pour toujours. A jamais. Nous avions vu, malgré son front d'ébène perlé du sel des forçats, la lueur décidée dans ses prunelles sombres. Cette certitude que la mort n'existe pas. La volonté que cette course que l'on voudrait stopper sur le champ tant on a mal, se prolonge indéfiniment. Car on sait que c'est là que se loge la jouissance la plus intense de l'existence. Si forte. Si fragile.
Son avance, suffisante sur le "Mall", lui permit de s'emparer d'un drapeau ougandais reproduisant curieusement deux fois les bandes du drapeau belge et de le faire flotter au-dessus de lui.
Un presque anonyme était champion olympique de marathon. Il s'agenouilla derrière la ligne, joignit les mains, regarda le ciel pur.......
La suite m'émeut plus que la course elle-même.
Un journaliste de la BBC accourut vers le médaillé d'or et lui posa la question incontournable.
- Que ressentez-vous ?
John Kipjiru répondit laconiquement.
- Après cette journée, je peux mourir.

Chaque franchissement de frontière est un risque. Pour la première fois de sa vie, il en avait pris un. Il saisit un bloc-notes, rédigea sa lettre de démission. Il avait un petit capital suffisant pour vivre de ses intérêts. Il enfila son pardessus.