Styliser alors son apparence et ses mouvements par une technique impeccable, viser à effacer les larmes, les marques de souffrance, ce n’est pas « dénier » le corps, comme le pensait Annie Ernaux. C’est au contraire, par un exercice à la fois amoureux, esthétique et sacré, comme la danse ou le combat à mort, lui donner une dimension nouvelle. Les difficultés de l’apprentissage ne sont pas étalées, les souffrances et les émotions non plus. Elles ne sont pas pour autant déniées, mais seulement retenues, mises à leur place, et même « remises à leur place » comme on le dit d’un insolent duquel on a rabattu le caquet. Souffrance et émotion, ainsi remises à leur place, libèrent un espace entre soi et soi-même.
Cet espace que l’élégance met entre soi et soi-même permet un jeu, au sens mécanique du terme. Il crée un degré de liberté inédit. « L’exil de soi à soi-même est la condition universelle du poète, de l’écrivain, de tout créateur » écrivait Berthe Burko-Falcman dans sa préface aux Certidoutes , précieux recueil de poèmes de Jacques Burko. Dans la danse, cette liberté est aussi l’espace du jeu d’une séduction qui ne pèse pas, ne colle pas. Un jeu dont personne n’est la dupe, car séducteur et séduit sont unis dans une connivence dont la règle implicite, mais absolue, est de feindre croire que ce qui est donné à voir est d’un absolu naturel. L’un et l’autre savent qu’il n’en est rien, mais aucun n’enfreindra cette convention – qui se veut secrète mais n’est qu’un secret de polichinelle – ni ne brisera cette complicité qui restera à jamais le non-dit de leur relation, si éphémère fût-elle. Est-il possible de continuer à croire que cette connivence soit « sociale », au sens de la sociologie bourdivine ?
Est-il vrai qu’en naissant je sois venu au monde ?
Il semble qu’à rebours, c’est lui qui vint à moi,
Avec les pluies, la neige et le parfum des bois,
Les rivières, carrières, cascades qui grondent.
Tapissé de sciure, un sentier de velours.
Dans l’étang noir, la légende des belles filles.
Elles cueillent les brimbelles, pas les myrtilles.
L’entrée dans la vallée est gardée par un ours.
Enivré par la houle et l’odeur des fougères,
L’enfant preux chevalier, vainqueur de ses chimères, Somnole sur le dos d’erratiques rochers.
D’une mine oubliée, du plomb argentifère.
Du choléra, le souvenir près d’un calvaire.
Tant de splendeurs, tant de douleurs sur ce plancher.
Du tout petit gosier des oisillons
au Grandgousier colossal horrifique, l’immense armée des avides gloutons s’avance gigantesque et mirifique,
pourvue d’un vaste ventre à gueuleton, impatiente, affamée, frénétique.
Je n'écris pas pour dire ce que je pense, mais pour le savoir.