Elle avait donc un corps. Cette révélation m’ouvrait à l’éperdu en même temps qu’elle me ramenait à la violence du possible. Tout de suite, je fus comme un amnésique portant la meurtrissure de la grâce entrevue, échappée, l’été d’avant.
Folle, cette idée d’aller la voir, enracinée dans sa ville et dans sa vie, déjà de l’autre côté de l’enfance, étrangère. Vivante.
Les ruses de la raison, les injonctions du nouveau paysage (tout de suite, j’aimais New York), la certitude que je me servais d’elle pour exprimer les signes d’une sensibilité délibérément pathétique, ne suffirent pas à la dérober à mon désir.
L’âme est tout le corps, mais la chair est la beauté du monde. Parce que je l’avais trouvée dans mon désir, je m’appliquai à n’être plus aussi pressé de la rejoindre dans le plaisir. Cette pusillanimité la surprit, puis la tranquillisa. Le désir étend des ombres et des lumières aussi amples que la sotte idée que je me fais de la perfection. Elle comprenait cet idéalisme, les tricheries de ses exaltations, ses nébulosités craintives ou orgueilleuses, ardentes ou ridicules. Elle me comprenait, mais elle désirait quelqu’un d’autre. Nous n’en parlions jamais. Celui-là croyait qu’il savait tout d’elle, et moi je connaissais son cou par cœur.
Pendant quelques mois, je parvins à être simplement heureux de me trouver seul avec elle, plus curieux qu’amoureux, et plus amoureux de sa curiosité que de la mienne. Je prenais plaisir à ses questions abruptes et elle, si nette pourtant, prit goût à cette ambiguïté qui la délivrait d’un rôle où elle s’était sentie contrainte.