AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Lefelyne


Bien entendu, on disait volontiers que l'esclavage au Brésil n'avait rien de comparable avec celui qui avait sévi en Amérique du Nord, qu'il était moins violent, plus humain, que l'on veillait à ne pas séparer les membres d'une même famille de pretos novos lors de leur arrivée, qu'ils étaient nourris convenablement et qu'ils s'acclimataient sans trop de peine sous les tropiques. Pourtant, malgré toutes les précautions oratoires dont certains enrobaient le sujet avant d'en débattre, comme ils l'auraient fait d'un rôti avec des bardes de lard gras, la réalité restait la même, implacable, inchangée depuis que les premiers croque-morts avaient déchargé leurs pièces de bois d'ébène dans la baie de Guanabara ou du côté de Bahia. La peine capitale ou les amputations châtiaient toujours les esclaves en fuite, les tronçons restaient fichés sur les plus grandes places des villes, la chicote, le fouet ou la flétrissure étaient d'une utilisation quotidienne et les Africains, baptisés ou pas, n'avaient aucun droit, pas même celui à l'éducation et ils demeuraient, dans l'esprit des fazendeiros et de leurs tenants, des sous-hommes auxquels Dieu lui-même n'avait pas cru bon d'accorder une âme.
En grimaçant, Dom Pedro observa son épouse qui, tous les trois coups d'aiguille exactement, effleurait de l'index de sa main droite le crucifix qu'elle portait en sautoir sur sa poitrine. En son for intérieur, il maudit une nouvelle fois l'obscurantisme dans lequel elle aimait à se baigner et à se prélasser, tout sens critique éteint, limitant avec délectation ses compétences intellectuelles à sa seule éducation religieuse. Pour elle, comme pour l'ensemble des conservateurs, le monde était parfaitement réglé. D'un côté il y avait les blancs, riches et oisifs et de l'autre, conçus uniquement pour accroître encore les richesses des dernièrs face à la force de leur travail, il y avait les esclaves. Le café avait besoin de bras et les Noirs étaient là pour le planter, le biner, l'arroser, le cueillir, l'ensachet et l'expédier à l'autre bout du monde. Au Brésil les choses avaient toujours été ainsi et il n'y avait absolument aucune raison pour que cela change. DOM Pedro II le savait et il trouvait, avec un plaisir trouble, des arguments pour pouvoir continuer à croire à cette fable, n'était-ce qu'en lisant ce livre qu'il venait de recevoir et qui, signé par un certain M. Arthur de Gobineau, faisait tout son possible pour démontrer de façon scientifique la supériorité de la race germanique sur toutes les autres races. Le Noir était fait pour servir et le Blanc pour commander.
Au fond de lui-même, l'empereur savait pourtant confusément que cette distribution des cartes, réglée avec toute la bienveillance des édiles et la bénédiction de l'église, était pipée. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait d'ailleurs immédiatement mis un terme à l'esclavage et puni sa pratique de la plus inflexible des façons.
Commenter  J’apprécie          10









{* *}