Le rêve d’aller à travers la montagne de ruisseau en ruisseau et de ruisseau en lac, de lac en rivière, sans frontières ni restrictions que sa propre liberté.
On monte à travers les forêts, les prairies, parfois encombrées de granits, le bruit des ruisseaux rapides -- où l’on peut rêver d’une vie délicieuse -- et on débouche sur le plateau à l’herbe rase, aux ruisseaux lents, aux lointains bleus, au vent -- endroit que l’on imagine propice à la pensée. Pour peu qu’on y demeure on comprend : c’est ici le lieu où la pensée s’absente.
A l’inverse du fleuve qui modifie le paysage, le tamise, change sa lumière, le brouille, le reflète, le ruisseau --- à peine s’il a de la masse, de l’étendue, de la profondeur --- s’insère dans les terres, qui font un effort pour ne pas l’absorber, fraie sa voie hésitante et tenace, inclusion transparente et musicale, riche elle-même d’une multitude d’inclusions vivantes, dissimulées dans sa transparence.
(...) Les meneurs de moutons et de vaches ont tourné la difficulté en nommant celui-ci Grandrieu, c’est-à-dire Grand Ruisseau, comme le Malrieu est un mauvais (ou petit) ruisseau, et Rieutort-de-Randon un village où le ruisseau abuse de méandres...
En amont, dans la haute plaine imbibée d’eau froide, la Rimeize erre entre sognes et pelouses hérissées de rocs, ouvre et ferme ses méandres, se mélange à d’invisibles ruisseaux au chant assourdi par les touffes de nard.
Au-dessus des renoncules d’eau en fleur qui ondulent dans le courant où se fragmente le soleil, montent et descendent les grandes mouches de mai. En quelques heures elles passent de l’état de larve aquatique à celui d’insecte dansant, s’accouplent, pondent et meurent, ailes écartées, sur les friselis de l’eau.