Jean-Yves Leloup

De même que nul homme n’échappe à la souffrance physique ou psychique, nul n’échappe à la solitude. Il ne s’agit pas ici de la "beata solitudine" des ermites qui ont choisi ce genre de vie… il s’agit de la mauvaise solitude, au creux d’un lit où on dort dans les mêmes draps mais pas dans les mêmes rêves, à une table où les murs de la non-communication éloigne les convives, solitude dans la foule, avec des amis même, des familiers qui ne comprennent pas ou ne comprennent plus ce qu’on est en train de vivre.
La solitude de celui ou de celle qu’on a trahi, dans sa confiance, sa fidélité…La solitude de ceux qui n’existent plus pour personne, parce que trop pauvres, ou trop laids, ou tout simplement coupables parce qu’ils sont en "trop" et qu’il n’y a pas de place pour eux ni dans le regard, ni dans l’écoute, ne dans le désir d’un être parlant. Cette solitude qu’on ne cesse de fuir et qui nous rattrape toujours… Et pourtant certains disent avoir perçu le Numineux au cœur même de cette solitude, de ce rien accepté, et du fond même de leur désert ils se sont sentis oasis pour tous les mondes, les mondes et ses chameaux ! Ils disent s’être éveillés alors à la dimension essentielle de leur être qui est vacance d’accueil pour tous les vivants… Celui dont le cœur est éveillé n’est plus jamais seul car c’est le propre du cœur de demeurer en communion avec tous les êtres, de tutoyer les mille et une choses ; le problème c’est d’avoir un cœur car comme le disent les anciens : "aie un cœur et tu seras sauvé". On ne peut donner que ce qu’on a reçu…il arrive qu’on reçoive son cœur de rien… Le secret c’est de pouvoir être seul et de demeurer aimant… On peut vivre sans pourquoi, on ne peut pas vivre sans pour qui, ce "qui" n’est pas moi ou un autre moi, ni objet ou sujet extérieurs, c’est le Soi même.