Anton appuya sa main contre sa poitrine, désespérément, comme s’il voulait empêcher son cœur d’en sortir. À nouveau cette tachycardie qu’il redoutait à la moindre émotion se manifestait, plus violente qu’à l’accoutumée. Il s’allongea, torse nu, face contre le carrelage frais, guettant le martèlement désordonné de son cœur. Il en ressentait les pulsations affolées jusque dans sa gorge. De longues minutes passèrent avant qu’il ne perçoive plus qu’un battement régulier entre ses côtes. Il se redressa et regarda de nouveau l’enveloppe. Le cachet de la poste l’avait instantanément ramené vingt ans en arrière.
Un mort, des doutes… Je n’étais pas paranoïaque mais Gaénnec m’avait tendu tant de pièges que l’idée d’un de ses traquenards m’a instantanément assailli. Tous mes sens se sont contractés, j’ai reculé dans mon fauteuil, comme pour m’éloigner d’un danger invisible. J’espérais que ce mouvement lui avait échappé et me repris aussitôt :
— « Confirmer les causes d’une mort », dans mon métier, on appelle ça une autopsie… Est-ce à cela que vous pensez ?
Elle mit plusieurs secondes avant de répondre :
— Autopsie… Peut-être. Oui. Quoique le terme me répugne un peu.
Il revoyait Kupfer gravir la passerelle de ce vieux cargo en partance pour Haïfa. La veille de ce départ, ils avaient déambulé de bar en bar, inquiets, et arpenté les quais déserts du port d’Anvers. Aux premières lueurs de l’aube, Anton était resté sur sa décision : il ne suivrait pas Kupfer en Israël. Même si cela était le refuge le plus sûr, il valait mieux se séparer. Ils n’avaient plus rien à partager. Ils étaient l’un pour l’autre un miroir dans lequel subsistait le reflet des cauchemars qu’ils avaient traversés.
— Vous avez dû entendre bien des aveux dans votre métier… Les miens relèveraient plutôt d’une confession sordide… Telle que vous me voyez, je ne suis que le résultat d’un tas d’argent sale, la fille d’une prostituée d’Ostende et d’un proxénète…
Ces mots m’avaient littéralement paralysé. K.-O. assis.
La mémoire douloureuse, il tenta de se raccrocher à cette amnésie avec laquelle il vivait depuis longtemps. Il essaya de se raisonner. Après tout, se disait-il, qu’est-ce que cela change ? L’existence de Kupfer n’était que virtuelle, vingt ans de silence peuvent tenir lieu de mort. En vain. La mort de Kupfer agissait comme un antidote, effaçant lentement Anton Drajick, tandis qu’apparaissait, dans une brume, à peine esquissé, le visage de Maxime Hobart.