Jean de Brébeuf

Voici ce que nous avons fait pour la conversion de ce peuple depuis notre arrivée. Premièrement, nous nous sommes employés en l'étude de la langue qui, à cause de la diversité de ses mots composés, est quasi infinie. On ne peut néanmoins rien faire sans cette étude. Tous les français qui sont ici s'y sont ardemment portés, ramenant l'ancien usage d'écrire sur des écorces de bouleau, faute de papier. Les PP. Davost et Daniel y ont travaillé par-dessus tous. Ils y savent autant de mots que moi, et peut-être plus. Mais ils n'ont pas encore la pratique pour les former et assembler promptement, quoique le P. Daniel s'explique déjà passablement. Pour moins qui ait fait la leçon à nos français, si Dieu ne m'assiste extraordinairement, encore me faudra-t-il aller longtemps à l'école des sauvages, telle est la fécondité de leur langue. Cela n'empêche que je n'entende quasi tout ce qu'ils disent et que je ne leur fasse assez comprendre mes conceptions, même dans les explications de nos plus ineffables mystères. Après cela, nous nous sommes employés à la visite, sollicitation et instruction des malades...

L'été est ici une saison fort incommode pour instruire les sauvages. Les traites et les champs emmènent tout : femmes et enfants. Il ne demeure quasi personne dans les villages. Voici comment nous passâmes le dernier [L'été de 1635]. En premier lieu, nous nous recueillîmes tous par les exercices spirituels, à la façon de notre Compagnie... Après nos exercices, nous fîmes un mémorial confus de mots que nous avions remarqués depuis notre arrivée, et puis nous ébauchâmes un dictionnaire de la langue des Hurons, qui sera très profitable. On y verra les diverses significations ; on y reconnaîtra aisément la différence des mots par ensemble, qui ne consiste quelquefois qu'en une seule lettre, ou même en un accent. Finalement, nous nous occupâmes à réformer, ou plutôt à ranger une grammaire. Je crains qu'il ne nous faille faire souvent de semblables réformes, car tous les jours nous allons découvrant de nouveaux secrets en cette science ; ce qui nous empêche d'envoyer rien à imprimer pour le présent. Nous en savons, grâces à Dieu, tantôt suffisamment, tant pour entendre que pour être entendus, mais non encore pour mettre au jour. C'est à la vérité une chose bien laborieuse de vouloir comprendre de tous points une langue étrangère, très abondante et autant différente de nos langues européennes qu'est le ciel et la terre, et ce sans maître et sans livres.