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Citation de SophiePatchouli


Le Faune bibliophile

Je me couche dans la luxure, me noie dans l'ivresse, me bâfre de cacao, m’alanguis oisif ou me plonge dans la fange _ avec distinction. Je suis Le Faune et non la faune, guilde de mes congénères. Tandis que mes semblables se vautrent dans les sphères les plus vulgaires, je poétise la concupiscence ... Par instinct orgiaque, ils baisent, fument, boivent, dévorent mais sans grâce aucune, JE glorifie l'art de la Bacchanale parce que je suis lecteur et bibliophile. Les livres ont façonné ma débauche naturelle, ils l'ont ciselée, parfumée jusqu'à lui donner une beauté exquise.

J'ai tapissé les murs du cyprès, qui me loge, d'innombrables rayonnages qui vont jusqu'à son faîte si près du ciel. Par un système judicieux d'échelles adaptées à mes sabots, je peux soustraire à mon décors un titre des éditions blanches que je possède intégralement, ou bien c'est un de ces jolis volumes de chez la Musardine ... Au pinacle de mon arbre, j'ai placé, près d'une orchidée, le bijoux de toile rose numéroté de Araki, livre d'image d'une obscénité délicate qu'il m'arrive de feuilleter après que mes homologues m'ont retranché dans mes instincts faméliques et inesthétiques.

Un matin que, lové "dans la feuillée, écrin vert taché d'or", Rimbaud me soufflait ses Voyelles, on cogna si fort mon cyprès qu'une étagère céda, étalant à mes pieds les onze milles verges d'Apollinaire, l'anus solaire de George Bataille et l'œuvre complète et originale du Marquis de Sade, reliure en demi-basane fauve clair et rehaussé de caissons à fleurons dorés, s'il vous plaît. Désemparé et hors de moi, j'ouvris prêt à foudroyer l'inopportun. Et quel ne fut pas ma surprise ! Mallarmé lui-même ne m'aurait pas offert plus belle vision, une Nymphe à l'éclat sans pareil se trouvait toute jambe en l'air au seuil de mon arbre. Un satyre de mes ennemis lui avait préféré une plus gironde et l'avait propulsé là à coup de sabots. Je l'aidai à se redresser et lui offris d'entrer. Je l'installai sur un coussinet de lierre et lui servis un verre de ce vin si fruité dont ma cave racinaire regorge. Elle attrapa l'Aphrodite de Pierre Louys, un petit cartonnage en percaline rouge et m'avoua tout à trac sa passion pour ces auteurs qui disent le désir en écrivant le plaisir. Nous figeâmes le temps. Débats littéraires animés, caresses lascives et délectation des chères les plus fines nous occupèrent pendant de longs jours.

Pourtant m'extrayant de cette précieuse quiétude, une après-midi qu'une bande de grossiers faunes fanfaronnaient devant mon antre, un caprice primitif me prit et je suivais mes cousins dans leurs immondes priapées. Des nymphomanes rugueuses et gouailleuses faisaient couler un mauvais alcool dans mon si délicat gosier et nous forniquâmes comme des damnés. Humides langues, sexes durs et cuisses grasses s’enchevêtraient jusqu'à l'écœurement. Et je m'adonnais à ces jeux glauques avec une frénésie salace.

La nuit venue, encore tout étourdi du cauchemar auquel mes instincts m'avaient forcé, je couru, je couru à en perdre haleine jusqu'à mon paisible cyprès. Ma dryade n'était plus là. Les photographies d'Araki ne me consolèrent pas, ni même mon délicieux vin.
La honte ressentie pour ma triste condition mua en lamentations et je me scandais telle une litanie ces mots punitifs :

_ Ce n'est ni par luxure, ni avarice, ni gourmandise, ni paresse ni colère ni envie que je pèche mais bien par orgueil ! Je suis un faune, par essence lubrique et ma collection de livres n'y change rien. Je méprise mes semblables quand je suis tout comme eux, je suis maudit sans avoir pactisé. Mes instincts sont esthètes quand ils devraient être vils et vice et versa. La nature m'a condamné à la souffrance en m'asservissant à la beauté.
Je suis paria.

Sophie Patchouli
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