Jérôme Brual

Il était très tôt ce dimanche matin lorsque Simon et son père « mirent les voiles ! » Leur embarcation mouillait dans le port de Perros-Guirec, à quelques kilomètres de Lannion, ce qui leur permettait d'atteindre l'archipel des sept îles assez rapidement. Après avoir passé le phare de l'île aux moines et l'île Bono, ils se dirigèrent vers l'île Rouzic. C'est là que se rendait la plupart du temps le duo pour passer la journée. Simon était aux anges car il pouvait à cette époque observer l'importante colonie de fous de Bassan qui venait nicher dans l'archipel, quel plaisir de les voir évoluer dans les airs, de les voir plonger en piqué dans la mer pour pêcher. Il y avait aussi d'autres espèces d'oiseaux de mer dans ce paradis maritime, mouettes, sternes, cormorans et autres macareux moines cohabitaient joyeusement et bruyamment sur tout l'archipel ainsi qu'une importante colonie de phoques gris que l'on pouvait approcher de très près sans difficultés.

Anne Courtois connaissait son fils par cœur, elle savait comment procéder pour garder le contact avec lui. Elle savait aussi qu'un tel choc émotionnel pouvait le plonger dans un mutisme total duquel il serait difficile à déloger.(…) Anne Courtois n'avait pas eu une minute à elle de tout le week-end, s'occuper de Simon lorsqu'il était dans cet état relevait d'un sacerdoce. C'était un véritable « Full Time Job ! ». Il fallait tout faire, le laver, l'habiller, le faire manger, le déshabiller, le coucher. La seule chose qu'il acceptait de faire tout seul était de respirer, il n'avait pas trop le choix, me direz-vous, puisque pour ce qui est des fonctions vitales, c'est le bien nommé Système Nerveux Sympathique qui s'occupe de tout !

Même les jeux de ses petits camarades dans la cour de récréation l'effrayaient tant ils avaient tendance à singer le monde des adultes. Comme si inconsciemment, par mimétisme, ils se préparaient à l'intégrer. Il préférait donc rester à l'écart, sans faire de bruits et sans se faire remarquer. Le prix à payer étant cette solitude qu'il devait accepter. A part lui et sa conscience, il n'y avait personne dans son univers et les autres ne s'en souciaient apparemment pas.

Charline, malgré son jeune âge, avait une capacité d'analyse hors du commun qui lui permettait une ouverture d'esprit que les autres enfants et même certains adultes n'avaient pas. Elle avait une approche différente des autres et elle voyait les choses au-delà de leurs apparences. C'est certainement pour cela qu'elle se sentait bien en compagnie de Simon car lui aussi, de par sa différence, avait un regard plus direct sur les choses de la vie.

Tu sais Charline, le fou de Bassan est un animal fidèle qui peut rester toute sa vie avec le même partenaire, à condition qu'ils se retrouvent sur le même territoire après chaque migration. C'est comme les humains, parfois ils se perdent de vue, ils leur suffit à ce moment-là de fermer les yeux et d'ouvrir leur cœur pour que tout finisse par rentrer dans l'ordre.

Il y avait beaucoup d'éléments incontrôlables dans ce plan. Ils ne maîtrisaient pas tout et il n'était pas dit que tout fonctionnerait comme sur des roulettes. Les enfants marchaient d'une certaine façon sur un fil, d'un côté le vide, et de l'autre côté, le vide aussi ! Un jeu terriblement dangereux mais tellement excitant et qui devait en valoir la chandelle.

C'était difficile pour lui de gérer tout ce stress mais il fallait qu'il évite à tout prix la crise de panique qui le plongerait dans un profond mutisme impossible à contrôler. Il n'avait qu'une hâte, que toute cette histoire se termine........bien.

Parce qu'élever (au propre comme au figuré) un enfant autiste, c'est très prenant physiquement, psychiquement et émotionnellement. Ça devient même impossible si vous n'y mettez pas tout l'amour inconditionnel et toute la patience nécessaire.