Le rôle de sa vie se jouait probablement à quelques centimètres de son épaule droite et il ne sut relever la tête de son livre incompréhensible, incapable de s’attarder sur cette femme, de l’identifier, obnubilé par cette distance qui le tranquillisait, une déficience qui protégeait. En vain, au carrefour des décisions, il faisait pâle figure et perdait pied
La main de sa mère resta suspendue au vide, de longues secondes, une main fripée, raide et maladroite. Elles se quittaient sans se connaître, dans une pudeur insensée, une retenue dérisoire, avec ce lourd bagage de mots qu’elles ne surent partager. Une relation sans commencement qui prenait fin dans une échappée interrompue, dans un dernier geste inachevé.
(...) En se remémorant son passé, Camille songea que la frontière était poreuse entre l’exaltation et la détresse. À certaines périodes de la vie une grande mélancolie enveloppait le monde et certains n’y survivaient pas, comme un étrange darwinisme du cœur.
— Camille…
— J’aime bien quand tu prononces mon prénom…
— Pourquoi ?
— J’ai le sentiment qu’il se trouve en sécurité dans ta bouche. Que voulais-tu me dire ?
— Je voudrais te déchiffrer, te déchiffrer comme un nocturne de Chopin ou un Scherzo de Berlioz
Passagers d’une authenticité naissante, en communion avec une indolence maritime et éloignés des appréhensions du monde terrien, ils séquestraient une éclosion du bonheur, une effervescence indicible aux aurores de la passion. Sur le chemin du retour, ils passèrent la balise Richelieu dans un ravissement mêlé à une pointe d’instabilité émotive, ancrés dans une séduction silencieuse et impérieuse.
Leur passion ne connaissait pas de trêve et se lovait, inflexible, entre leurs hanches, telle une substance animée et piquante. Ils s’allongèrent à même le sol, pour seuls points de contact l’effleurement des épaules et des hanches, le dos accolé au parquet fraîchement ciré du salon et conversaient au rythme de la nuit tombante pour s’abandonner aux confidences. Ils chuchotaient leur intimité, de la crème d’amour qui cuisait à feux doux, sans débordement, ni grumeaux.
Le dimanche soir s’apparenta au générique de fin d’une comédie romantique, deux spectateurs tapis dans un désir feutré et indocile, leurs étreintes ne s’encombraient pas de la raison, elles refoulaient la pudeur et se délestaient de la morale. Leur passion ne connaissait pas de trêve et se lovait, inflexible, entre leurs hanches, telle une substance animée et piquante
— Dis-moi, Grégoire, c’est quoi, être heureux ?
— Sans doute une certitude…
— Du genre ?
— Du genre apprivoiser les moments où la question ne se pose pas.
— Et ça marche pour toi ?
— Rarement.
— Tu avoues donc que c’est un leurre ?
— Plutôt une quête absolue. Quand les illusions se trouvent sacrifiées sur l’autel de la réalité, il suffit de songer que l’espoir se niche dans l’imprévu. Il faut battre en brèche ses démons. Être heureux, c’est d’abord faucher les mauvaises herbes sur son parcours.
— Mais, les mauvaises herbes, elles repoussent toujours.
— Alors il faut continuer à moissonner, encore et encore… Sourire, pleurer, commander des grains de folie, combattre la frilosité, imaginer, courir, perdre haleine, s’essouffler, flâner, rebondir, refouler le conformisme, piétiner les idées reçues, accueillir l’inattendu, abandonner les codes, transcender ses rêves, aimer…
Il referma la parenthèse de ses souvenirs, il aimait se remémorer ces pages du passé, certaines écornées par sa mémoire comme pour mieux retrouver les passages marquants
À certaines périodes de la vie une grande mélancolie enveloppait le monde et certains n’y survivaient pas, comme un étrange darwinisme du cœur.