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Citation de Charybde2


Les nuages devaient la prendre pour une vieille loutre à la fourrure fanée, se dandinant sans grâce, loin de ses rivières, sur un sol encombré de cailloux : mais ce n’était qu’une locomotive avec un ou deux wagons à la traîne qui cahotaient à travers des plaines grisées par la lumière de l’hiver. Une uniformité étrange régnait, comme si chaque pré ployait sous le fer de la froidure et de la désolation. Les quelques habitations qui parsemaient l’espace semblaient elles aussi se rabougrir, tassées par des forces atmosphériques irrépressibles. Les arbres étiques qui les côtoyaient de loin en loin tentaient de se projeter au plus haut, leurs branches presque collées au tronc pour davantage de fluidité, mais sans succès : chaque faîte se courbait, tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite, empêché par une main géante qui les éloignait avec négligence du ciel.
Johan se demandait ce qui avait pu conduire Timon dans un tel pays, si éloigné de la trépidation citadine et des soirées baroques qui rythmaient son existence jusqu’il y a peu. Johan n’avait pas connu la petite gloire de son frère, pas plus que les multiples tentations qui en découlaient. Mais les errances de sa propre vie le dispensaient d’être jaloux.
Ses pensées virevoltaient dans le presque désert de son wagon. Fébrile, il ne cessait de gigoter sur son siège, soupirait, sans que personne en fût gêné par ailleurs. Son seul compagnon de voyage était un vieux monsieur qui, installé près de la porte coulissante à plusieurs rangées de lui, n’avait cessé de lire un journal dont le froissement des pages, parfois désagréable, s’acoquinait avec le bruit traditionnel du train. Une fois, Johan se leva, pour se débarrasser d’une idée déplaisante. Il traversa le wagon à deux reprises, sans que le vieil homme ne tourne la tête en sa direction. Le patriarche était vêtu d’un costume gris perle, plutôt froissé, d’un gris comparable à celui des espaces désolés qu’ils traversaient. Son visage glabre s’affaissait par endroits ; il avait ôté ses chaussures, qui reposaient, impeccablement alignées, sur le siège vide à ses côtés. Des chaussures noires, couvertes de poussière grise. Johan s’était rassis, plus mélancolique que jamais.
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