Jim Donaghey

Cette conception de la liberté de pensée à partir de l'individu et de l'émancipation individuelle est un des marqueurs forts que partagent le punk précoce et l'anarchisme. Elle implique d'autre part l'exclusion de toute idéologie qui ne considérerait pas la liberté comme un moyen autant qu'une fin.
Partant de cette primauté accordée à la liberté, de cette position de classe spécifique et de cette revendication populaire non-programmatique, il est extrêmement difficile de ne pas assimiler la dimension politique du punk des débuts à autre chose qu'une position libertaire, même si on doit bien la reconnaître comme basique, naissante et incomplète.

On peut facilement admettre que le punk des dé- buts manquait d'une idéologie politique claire et cohérente, mais il n'empèche qu'il développait une culture oppositionnelle franche et directe. C'est ainsi qu'il a été réprimé et considéré comme une menace pour la société dominante : l'État, le gouvernement, la police, la monarchie, la religion, le capitalisme et la culture de masse. Ainsi, pour reprendre l'idée de Bookchin, la cri- tique punk de la domination et de la hiérarchie dispose de tous les traits d'une conscience libertaire naissante.

[...] on peut noter cet effet paradoxal alors que le message des premiers punks mettait l'accent sur la rupture avec le passé, on retrouve chez eux une certaine tradition hippie de I'anti-eslablishment et certaines filiations avec des avant-gardes artistiques. Mais ces influences sont en grande partie indirectes et peuvent être analysées autant dans un sens positif que négatif. Si certains aspects des contre-cultures précédentes se retrouvent dans le punk, celui-ci ne s'est jamais empêché de les critiquer et de s'en démarquer. L'objectif de cette attitude était évident : promouvoir un esprit de révolte. Pour ce qui nous intéresse ici, cette dynamique de rébellion développée et esthétisée par le punk peut renvoyer à l'esprit libertaire.

Lisser les contradictions inhérentes au punk et en ignorer les aspects qui n'entrent pas dans un moule idéologique clairement défini entrave une appréciation de sa complexité et ne fait qu'élaborer un récit simpliste (qui, finalement et paradoxalement, s'aligne parfaitement sur le dogme socio-économique du marxisme orthodoxe). Refuser la synthèse, c'est embrasser la contradiction et l'antinomie. Voilà précisément ce que pourraient d'ailleurs être les contours d'une pensée punk. Pour paraphraser Proudhon : la pluralité des principes, la lutte des éléments et l'opposition des contraires sont les conditions nécessaires à l'émergence d'une société libre, tout comme elles sont les conséquences d'une telle société.

Bref, que vous imaginiez que le punk se limite années 1976-1980 (car c'est ce que vous disent les livres sur le sujet) ou que votre « belle époque » se situe entre 1998 et 2001 (après quoi vous avez passé votre chemin et continué votre vie), laissez-moi vous dire un truc : le punk n'est pas mort. À l'heure où j'écris cette phrase, il y a des gens dans le monde qui vivent et respirent le punk (et l'anarchisme). Si vous vouliez Vraiment les trouver, vous y arriveriez sûrement... mais sachez qu'elles et ils sont bien contents de pouvoir rester sous les radars.

Je ne compte plus les fois où de vieux punks m'ont approché dans la rue ou dans un pub pour me régaler avec leurs vieilles histoires, celles de « la belle époque ». Mais je veux toujours garder en tête que cette idée « d'époque » est totalement subjective : pour certains, c'est la fin des années 1970, pour d'autres, c'est le milieu des années 1990 ou la fin des années 2010. Pour le vieux punk nostalgique, la « fin d'une époque » n'est définie que par la fin de sa participation active au mouvement.

Ce petit livre a été écrit sous l'impulsion d'une colère froide, il y a plus de 10 ans. Je me souviens encore aujourd'hui à quel point tous les bouquins merdiques que je lisais sur le punk me mettaient hors de moi. J'ai balancé Sous-culture de Dick Hebdige directement à la poubelle! (Je suis allé le rechercher un peu plus tard... car jeter des livres n'est vraiment pas une bonne habitude à prendre.)

Peut-on être à la fois nostalgique et iconoclaste ? C'est ce que ce texte essaie de faire, en s'attaquant à tous ces livres stupides sur l'histoire du punk, en essayant de remettre quelques pendules à l'heure. Ce faisant, je sais bien que j'ai moi-même pris le risque de n'écrire qu'un autre livre punko-nostalgique de merde... Je vous laisse en juger.