Le reggae est la musique la plus sectaire qui soit : elle exige de son auditeur qu’il soit cool, ouvert et désinvolte, comme un preneur d’otage qui impose le calme ou le silence. Ecouter du reggae, cela signifie que l’on remplit toutes les conditions pour écouter du reggae, tautologie équivalente au reggae lui-même, seul genre musical qui ordonne au chanteur de scander son nom le plus souvent possible, à la manière des idéologues les plus agressifs – et d’ailleurs, comme eux, le reggae impose son uniforme, sa panoplie et ses couleurs : le vert, le jaune et le rouge, les boucles d’oreilles et colliers en bois, les breloques tiers-mondistes traitant implicitement le non initié d’ethnocentriste, de capitaliste replié sur sa culture froide et sans âme. Ecouter ce prêchi-prêcha mid-tempo et rébarbatif, c’est un acte valorisant, qui fait de l’étudiant en socio ou de l’étudiante en Lettres un chantre de ce fameux carpe diem, non pas découvert grâce à Horace, mais à Robin Williams. En général, le simple fait de dire que l’on n’aime pas le reggae semble suspect : on passe très vite pour un rabat-joie, quelqu’un de mauvaise foi, voire pire : de droite. Pourtant, l’intransigeance du discours reggae n’a d’égale que la musique reggae, la plus fermée et la plus policée du monde. Pour faire du reggae, il faut intégrer autant de règles qu’à l’armée nationale-socialiste : tout, des contretemps aux breaks, du tempo au lexique, du débit vocal à la race des musiciens, tout est imposé. Ce qui n’empêche pas ces connards de parler d’ouverture d’esprit.