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Citation de palamede


John Ashbery
LE PEINTRE

Assis entre la mer et les immeubles
Il se plaisait à peindre le portrait de la mer,
Mais comme les enfants imaginent qu’une prière
N’est que silence, il s’attendait a ce que son sujet
Surgisse sur la sable, et, saisissant son pinceau,
Se colle en autoportrait sur sa toile.

Il n’y a pas eu de trace de peinture sur la toile
Jusqu’au moment où les habitants des immeubles
L’ont encouragé : « Tentez de vous servir du pinceau
Comme d’un moyen vers une fin. Désignez, pour le portrait,
Un sujet moins furieux, moins ample, un sujet
Plus à l’écoute de vos humeurs changeantes, où peut-être d’une prière. »
Comment leur expliquer qu’il priait déjà
Pour que la nature plus que l’art naisse sur sa toile ?
Il choisit son épouse comme nouveau sujet
L’amplifiant, à l’image de bâtiments en ruines
Comme si s’oubliant le portrait
S’était exprimé de lui-même sans pinceau.

Encouragé il a trempé son pinceau
Dans la mer, murmurant une prière lui montant du fond du cœur :
« Mon âme, la prochaine fois que je peindrai un portrait
Que tu viennes dévaster la toile. »
Les nouvelles se sont répandues comme de la poudre, enflammant les bâtiments :
Cet artiste avait retrouvé son sujet auprès de la mer.

Imaginez un peintre crucifié par son sujet !
Trop épuisé pour lever son pinceau,
Son attitude attire des artistes penchés aux fenêtres des immeubles
Avec des rires cruels : « Nous n’avons plus aucune chance
Maintenant de nous étaler sur la toile
Ni d’engager la mer à s’asseoir pour qu’on fasse son portrait. »

On l’a décrit comme un autoportrait,
Et à la fin toute trace de sujet
Commença à s’évanouir, laissant la toile
Parfaitement blanche. L’artiste posa son pinceau.
Et soudain un hurlement en forme de prière
Monta des immeubles grouillant de monde.

Ils l’ont jeté, le portrait, de la plus haute des tours ;
Et la mer a dévoré la toile et la brosse
Le sujet ayant pris la décision de demeurer prière.


Traduction en français du poème original en anglais, “The Painter” (1956),
par Elizabeth Brunazzi (2012), relue par Matthieu Baumier


(John Ashbery, l'un des plus grands poètes américains du 20e siècle, est décédé à l'âge de 90 ans à Hudson, dans l'Etat de New York (nord-est des Etats-Unis), a annoncé dimanche sa famille aux médias. Auteur de poésies avant-gardistes et expérimentales, son oeuvre était parfois controversée car certains trouvaient ses poèmes peu accessibles.

«On me dit qu'ils ne le sont pas», déclarait John Ahsbery en 2005 dans une interview avec la radio publique américaine NPR. «Ce dont parlent mes poèmes, c'est de notre intimité, et de la difficulté de nous penser nous-mêmes». Mais «je crois qu'ils sont accessibles si on désire y accéder», ajoutait-il.

Né le 28 juillet 1927 à Rochester, dans l'Etat de New York, John Ashbery avait étudié à l'université de Columbia. Il aimait mêler dans ses oeuvres la langue de tous les jours et des considérations élevées.

Son recueil «Self-Portait in a Convex Mirror» («Autoportrait dans un miroir convexe») lui avait valu de devenir le seul écrivain américain à obtenir trois récompenses importantes la même année pour la même oeuvre, le prix Pulitzer, le National Book Award et un National Book Critics Circle Award.En 2012, John Ashbery avait reçu des mains du président Barack Obama une haute distinction américaine, la National Humanities Medal.
Le Huffington Post le 3 septembre 2017)
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