Ce recueil de poèmes se découvre par petites touches , pas à pas. Et plus on s'en imprègne, plus on l'aime...
Encore une superbe découverte contemporaine ! Auteure discrète, universitaire au Centre des recherches sur les lettres romandes, Josée-Flore Tappy est suisse, elle vit à Lausanne et traduit aussi des poètes latino-américains. Dans l'avant-propos d'un autre poète, Philippe Jaccottet, il nous explique que " son chant est plutôt un énoncé, qui aurait la force des pierres, la sécheresse de l'os, le tranchant du fer".
On s'attend donc à une certaine rugosité, voire de la dureté. Certes, les éléments tels que les métaux, la pierre sont très présents et définissent sans douceur les contours du jour,mais la lumière, l'espoir sont souvent prêts à jaillir. C'est ce qui fait la force de sa poésie. Oui,le réel s'impose, âpre, mais le feu, l'amour éclairent l'angoisse, le vide. Même s'ils n'arrivent pas toujours à les conjurer.
" La lumière
des mains légères la frottent
à la pierre ponce la pierre saline
les mains rapides
qui distribuent
celles qui brillent
des débris de la nuit"
Cette poésie brute, faite de textes courts, rebute parfois, mais des éclairs , des rais fulgurants la traversent, créant des images d'une beaute pure, minérale.
" Alors sous les grands acacias
s'endort la peur
alors seulement
s'apaisent
les émeutes du vent"
Au -delà du caractère abrupt des mots se révèlent des vérités nues et profondes. A découvrir!
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Recueil composé de deux parties :
- Poèmes de l'ombre
- L'île
Poésie sans grandiloquence
saisissante à chaque détour
d'histoires, association
inattendue de mots secs
communs
Poésie parsemée de grains
de lumière :
Ici des sentiers fuient sous les pas
Là rien que " vérité vertébrale "
Aucune ponctuation
Ainsi ces " Poèmes de l'ombre "
" Entre hier et demain
je marche
sur une planche vacillante
dressée par la lumière
Dessous
le vide l'effroi
des profondeurs
un monde fracturé
où miroite la mémoire
lucarne
dans le noir aujourd'hui
p.11
" Le ciel si dur si fermé
assiette de fer blanc
où frappe sans répit
le bec avide des oiseaux
Il faudrait
clouer la faim
sur les portes de hêtre
ou l'étouffer
avec un chiffon d'herbes
p.12
" Nerveuse
mon ombre balaie le sol
prête à bondir
à l'affût d'on ne sait
quel mot d'ordre
quelle étincelle
Mais je la tiens
très courte
nouée à mes chevilles
comme bête soumise
couchée dans la poussière
p.13
" Parfois sans raison
traînée de cigare sur la terre froide
cette même ombre
me désigne du doigt
inerte
à moi-même étrangère
p.14
" Comment guérir
mettre en plâtre
cette fracture
comment tenir
l'incoercible
Bander étroitement
les deux parts de moi-même
serrer dur
le présent le passé
unir
de force
ces deux moitiés
brisées
Méprise
p.15
" Trop osciller
a démis
l'os
de ma raison
folie folie
Les pensées vrillent
dans leur chant
dissonant
p.17
" Si vétuste la lumière
à peine quelques grains
jetés
dans la main des vivants
Bienheureuses
les poules
sans esprit
moi je picore
les restes avariés
d'un vieux rêve
passé
que rien ne peut me faire
lâcher
p.19
" Mon ombre
à l'aventure
divague
silhouette
somnambule
D'aller venir
à force d'errer
finira-t-elle
un jour
par user – l'égarée –
sa pointe sa mine obscure
à l'arête vive des pierres
crayon fébrile qu'aucune main
ne dirige
p.30
" Les jardins ont mis
leurs gants de givre
aux clochettes rouillées
absence absence
j'épelle
le rien
j'ânonne
ici là-bas
de moi à moi
chancelantes syllabes
et glisse l'chevelée
folie entre mes doigts
livides
p.31
Ainsi ces poèmes " L'île "
" Ouvert dans la pénombre
le cerisier déborde
soulève neige et fontaine
échange contre la pluie
tout le sommeil des merles
repousse le ciel
plus haut toujours plus haut
Respirer respirer
Sous cette grande jupe d'écume
je caresse l'angoisse
j'amadoue l'ennemie
p.37
" Qui sait
demain peut-être
la lumière durcira
brûlant poignard
sur la table des blés
p.41
" Sous la patte
des figuiers pachydermes
l'île fossile
étouffe
Masser la peur la déraidir
chauffer l'endroit où
tout se fige
L'île soulevée
carapace sur le dos reptile
des vagues
p.42
" Mais qui verse
à travers les ruelles
tous ces seaux de lumière
lavant les pavés
de leur sommeil calcaire ?
p.45
" Hésitant
cherchant nos pieds
comme une bête affamée
le chemin
fuit revient
squelettiques
mord nos talons
et furtif
nous quitte
p.46
" Dos
à dos
avec la pierre
Le plein air
pour tombeau
Rien que
vérité vertébrale
p.52
" À l'insu des regards
j'enfile la cagoule
du vent et je vais
anonyme
Si douce la nuit
son velours élimé
sur mon corps disparu
p.54
Enfin cette toute dernière question :
" Faut-il tenir l'espoir par l'anse pour ne pas le briser ?
p18
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Le titre de ce recueil poétique, Hangars, interroge quant au contenu des feuillets.
Et l'ouvrage n'apporte pas réponse, il est donc de bon ton de laisser aller son imaginaire.
Hangars est un recueil de poésie lyrique allant crescendo. Le champ lexical de surface est celui de la nature, la belle, la grande, l'envoutante mais en arrière plan se laissent dévoiler solitude, mélancolie, vie des hommes, perte et émerveillement.
La division du texte en trois "actes" : limaille, élémentaires, gravier m'a fait l'effet d'un crescendo. Le texte s'envole et son contenu envoûte, la nature enveloppe tout en libérant.
L'Espagne apparaît dès le préambule avec une citation de Machado. L'Auteure a donc trouvé son violon d'Ingres en terre ibérique, les amandiers et capriers fleurissent les vers...
Un texte qui s'apprivoise par la relecture. Une belle découverte poétique, écrite en vers libres renouant toutefois avec la poésie classique d'Europe ou d'Asie.
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Les poèmes m'embarquent, m'enchantent, me bercent, me sortent de ma torpeur, m'enlisent, m'entraînent, m'émeuvent. Bercée par ce chant lancinant.
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