Josée Blanchette

Nous pouvons nous rendormir ou refaire l’amour, différemment cette fois. Comme un couple, comme si nous nous appartenions vraiment. Nous connaissons le chemin, le territoire et les limites infinies de l’audace.

Faire silence à deux dans ce peau à peau primitif, se laisser bercer par ce rien, ce temps volé à toutes les obligations, une bulle créée juste pour nous deux, à notre démesure. La liberté commence et se termine ici, à l’abri des regards.

Les gens blessés blessent, c’est une réalité comptable, quantique. Mais je crois aussi en la justice immanente. Tout nous revient un jour, parfois sous une autre forme. Et l’addition s’avère salée ; du moins, j’aime le penser. Pour l’heure, je renoue avec l’érotisme, avec mon corps qui s’était mis en sourdine depuis tant d’années. Je redeviens femme, pute ou soumise, sinon les trois, après un simple échange de salive. Je découvre l’ocytocine, la vasopressine et la dopamine, si on veut privilégier l’angle biochimique.

J’aime les mâles qui attaquent sans demander la permission tout en vous traitant avec galanterie. C’est au moment où j’ouvrais le vaisselier vitré pour y prendre les flûtes que tu m’as approchée par-derrière. Tu as visé la nuque, mon point faible, le coup fatal. J’ai cessé de bouger, de respirer, d’exister. J’avais chaud sous ma veste de velours noir et j’ai basculé la tête en fermant les yeux. Tu respirais fort près de mon oreille droite et je sentais une lave brûlante monter. J’ai gémi. De hâte, de douleur, de honte, de trop, de peur et de peine, du regret de toutes ces années perdues à jamais dans la tiédeur de l’indifférence.

Le cube Rubik est un jouet sexuel hautement sous-estimé dans l’art de prolonger le plaisir et de freiner les ardeurs durant le coït. Avant toi, j’aurais songé à une forme de perversion très pointue destinée à des nerds de première catégorie. Maintenant, je n’arrive plus à regarder un Rubik sans sourire.

Il y a des rencontres sensuelles et sexuelles qui tiennent de la fusion spirituelle, tout simplement. Un mélange de ferveur mystique et de révélations. L’au-delà vous envoie la main l’espace de quelques instants. Le temps d’une expérience d’illumination, nous redevenons des anges vagabonds qui pactisent avec le diable ou le tantrisme.

Je me suis retournée pour joindre mes lèvres aux tiennes. Tu as retiré tes lunettes, un geste que j’adore, qui marque une étape, un non-retour. L’amour est aveugle de toute façon, et nous n’avions rien à faire de la lucidité à ce moment précis. Malgré la faim au creux du ventre, nous esquivions, nous nous amusions à nous rendre dingues. Nos détours devenaient un jeu, notre hâte, un défi.

Nous sommes fabriquées en Chine. L’Empire nous dicte notre asservissement au règne du jetable après usage et de l’obsolescence programmée. Nous sommes toutes éjectables avec une cruauté qui ne souffre aucun atermoiement. Mes sœurs errent dans la honte, itinérantes de vallées de larmes sans horizons, telles des hirondelles qui battent d’une seule aile et tournent en rond.

Assis près de moi sur la banquette, tu sembles très à l’aise dans ton rôle de touriste ; tu t’amuses ferme. Nous sommes à l’enseigne du nouveau burlesque, l’anti-Folies Bergères, Pigalle sans le kitsch et avec le second degré.

Ces femmes en avaient marre de prendre soin des autres. Elles se consacraient enfin à leur propre bonheur. Et il y avait une réelle liberté dans tout cela, un pied de nez féministe et définitif à ce qu’on attendait de nous : être de parfaites ménopausées bloquées à pause.

Le couple peut rapidement devenir une prison sans barreaux visibles. Pour ne pas perdre l’amour, ou l’image qu’on s’en fait, on se coupe les ailes et on cesse d’être la personne que l’autre désirait. Nous sommes nos propres bourreaux.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on demande à une seule personne de combler nos besoins affectifs, physiques, intellectuels, spirituels. Cette personne devient tout.

La vie serait drôlement plus simple si nous pouvions tomber en amour avec nos meilleurs amis. Nous nous épargnerions bien des souffrances aussi inutiles que potentiellement létales. Car il subsiste une différence fondamentale entre aimer et « être » amoureux. L’état second nous enlève tous nos moyens et nous donne autant de jugement qu’un cocaïnomane en sevrage.

Les filles veulent de tout ! L’amitié, du sexe, de l’aventure, de la complicité, de l’intimité, une épaule, une oreille, rêver beaucoup, souffrir un peu. Pis tomber en amour aussi… un détail.

Thomas est une histoire d’amour unique, une œuvre improvisée et en évolution constante, un work in progress sur la carte de Tendre. Nous nous tenons loin de la mer agitée et de la houle, naviguant sur les eaux tranquilles du fleuve Inclination. L’amitié est une forme d’amour sous-estimée, d’une exquise subtilité, tous sexes confondus d’ailleurs.

« Ce qui compte dans la vie, ce sont les gens qu’on aime et qui nous ont aimés ». C’était sa conclusion après soixante-six ans ici-bas. Sa dépression ne lui avait pas fait perdre de vue l’essentiel. Je te souhaite de ne pas mettre un cadenas sur ton cœur. Ce serait triste… pour toi, surtout.

L’équilibre entre la vulgarité et l’érotisme est affaire de sensibilité. Tu savais parfaitement nuancer. Tu es musicien et danseur, après tout. Le langage non verbal, tu le maîtrises avec élégance.

En tant que maître de jeu, tu ne te privais pas ; ton emprise sur moi était totale. Je te faisais confiance, tu n’allais pas disparaître pour me laisser aux mains des femmes de chambre jusqu’au lendemain, mais tu es tout de même sorti chercher de la glace à la réception.

Nous n’avons plus d’âge, nous nous émerveillons simplement d’être encore en vie après deux divorces, des tas d’emmerdes, de maladies et d’hommes qui ont jalonné nos vies et dont nous préférons oublier le nom. Nous avons rebondi cent fois et nous savons épeler le mot résilience aller-retour.

Elle aime répéter que les Français sont comme des noix de coco, coriaces d’approche, mais mous au centre, tandis que les Québécois seraient plutôt des avocats, accessibles en surface seulement. Notre noyau est dur, et nous ne laissons pas l’étranger s’infiltrer facilement.

Prendre racine est un exercice délicat. Le talent du jardinier y est pour beaucoup. Par amour – de ceux qui se font rares à l’âge vintage –, elle a suivi un éditeur parisien pour qui elle a tout lâché au Québec ; la maison, le job, les amis et ses deux filles assez adultes pour se passer de sa présence au quotidien.