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Citation de enkidu_


Patricia agrippa furieusement, sauvagement la crinière de King pour le secouer, le forcer à gronder ou à rire. La tête du lion ne bougea pas. La gueule resta béante, mais inerte. Le regard était de verre. Seul, l’essaim des grosses mouches s’éleva, tourbillonnant et bruissant, au-dessus de la plaie déjà sombre.

Pour la première fois, je vis la peur saisir les traits de Patricia. La peur de ce qui ne se conçoit pas, de ce qui ne peut pas être. Patricia lâcha la toison et d’instinct leva le visage vers le ciel, le soleil. De grandes formes noires aux ailes déployées et à tête chauve tournoyaient au-dessus de l’arbre de King.

Un cri ténu mais atroce par la révélation qu’il exprimait échappa à Patricia. Il n’existait pas d’écriture aussi lisible pour la petite fille du Parc royal que les cercles tracés par un vol de vautours. S’ils se rassemblaient de la sorte, c’était pour fondre sur une bête crevée – elle le savait depuis toujours. Et Patricia avait tant vu de ces chairs mortes – antilopes, buffles, zèbres, éléphants – que rien, jusqu’alors, ne lui avait semblé plus simple, plus naturel, plus conforme à l’ordre de la brousse… Un cadavre… Une charogne… Voilà tout.

Et même Ol’Kalou. Et même Oriounga.

Mais King, non ! King, ce n’était pas possible ! Elle l’aimait et il l’aimait. Ils étaient nécessaires l’un à l’autre. Et voici que, étendu près d’elle dans son attitude familière de protection, de tendresse et de jeu, il s’éloignait chaque instant davantage. Et comme en lui-même, comme au fond de lui-même. Il s’en allait… Mais où ? Mais où était-il déjà parti puisque les vautours approchaient, approchaient sans cesse pour le dévorer, lui, le tout-puissant ?

Les sentiments essentiels – la maternité, l’amitié, la puissance, le goût du sang, la jalousie et l’amour – Patricia les avait tous connus par le truchement de King. C’était encore le grand lion, qui lui faisait découvrir le sentiment de la mort.

La petite fille chercha de ses yeux obscurcis par l’épouvante un homme qui pût l’aider contre tant de mystère et d’horreur. Elle ne trouva qu’un étranger, un passant. Lui, du moins, il n’avait pas eu le loisir de la blesser.

« Emmenez-moi, emmenez-moi d’ici », me cria-t-elle. (pp. 237-238)
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