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Citation de EtienneBernardLivres


En 1842, il y avait, chez le gardien du musée de Marseille, un chat très vieux et très mélancolique ; il avait perdu toutes les habitudes de la petite race féline ; il ne lustrait plus sa fourrure avec sa patte ; il ne prenait plus de jolies poses de sphinx ; il ne s'intéressait plus au sabbat de la cave ; il ne se mettait plus à la fenêtre pour voir passer les chiens : tout lui était indifférent. Il avait l'air de méditer un suicide.

À Memphis, il y a quatre mille ans, on aurait veillé sur lui ; mais, à notre époque, ces animaux ont perdu leur antique considération ; ils sont accusés de rendre le mal pour le mal ; et on leur préfère les chiens, parce qu'ils rendent une caresse pour un coup de pied.
Les chats sont les victimes de leur logique et de leur justice.
Quelques personnes, douées encore du sens égyptien, rendent hommage à leurs nobles qualités.

Aux yeux de certaines gens, les chats ont le tort de vieillir ; dès qu'ils ne sont plus jeunes, ils ne sont plus chats ; alors, on trame contre eux de ténébreux complots ; on les regarde d'un air menaçant, on leur prodigue les insultes, et ces pauvres animaux cherchent un coin sombre pour y traîner les derniers jours de leur vieillesse, et ils laissent lire dans leurs yeux à demi fermés, et sur les rides de leur front, tout ce qu'ils pensent de l'ingratitude des hommes et des caprices des enfants.

À la suite d'un complot tenu dans le musée, il fut arrêté que le chat de l'établissement, coupable de vieillesse, serait mis dans un sac et confié à un paysan, ami des chiens, lequel se chargeait gratuitement de le précipiter du haut du Saut-de-Maroc dans la mer.
Le Saut-de-Maroc est un rocher à pic, sur le chemin du village de Rove, à trois lieues de Marseille.

Le paysan s'acquitta, sans remords, de cette exécution.
À son heure suprême, le chat avait retrouvé toute l'énergie de sa jeunesse ; il se débattit contre le sbire, avec un reste de griffes et de dents ; mais il avait affaire à un agriculteur bronzé sur l'épiderme, qui ne lâcha pas sa proie et la précipita du haut de la montagne, en gardant le sac par esprit d'économie.

Cette mauvaise action avait été commise dans un musée tout rempli de reliques égyptiennes et surtout de momies de chats, remontant à la domesticité des Pharaons.

Un an, ou quatorze mois après, pour mieux dire, le gardien du musée, rentrant à minuit, entendit sur l'escalier une plainte aiguë et intermittente, qui lui causa une certaine émotion.

Puis, comme il jetait les yeux, par devoir d'inspection, sur l'embrasure d'une fenêtre intérieure, il aperçut, dans la plus suppliante des poses, le chat du Saut-de-Maroc...
L'heure de la nuit fit croire à une apparition de fantôme ; poltron comme tous les gardiens, il allait tomber à genoux et demander grâce, lorsqu'un reste de sentiment viril l'arrêta : il trouva plus honorable d'ouvrir lestement la porte de sa chambre et de s'y réfugier, en se protégeant par des signes de croix.

La nuit fut mauvaise ; il dormit peu, et rêva que le musée était assiégé par des momies lugubres, conduites par Champollion.

Le lendemain, à l'heure où les fantômes disparaissent devant le soleil, on aperçut le chat nonchalamment posé sur une natte, devant la porte du musée égyptien.

Il s'opéra tout de suite une réaction en sa faveur : on lui accorda ses grandes entrées ; on l'accabla de soins ; enfin, on le traita comme un jeune chien, ou comme un jeune chat. Seulement, par intervalles, on entendait cette exclamation de surprise : « Comment diable est-il revenu ! il doit être sorcier ! »

Le plus étonné de tous fut le paysan bourreau ; il recula de trois pas, croisa les mains au-dessus de sa tête et exécuta ensuite la fameuse pantomime de Talma, précipitant les Gaulois du haut du Capitole, dans Manlius.

Les Gaulois ne revinrent pas chez eux : on les avait trop bien précipités.
Rassuré complètement sur son avenir, le vieux chat rajeunissait à vue d'œil, et se livrait même, par boutades, à des ébats enfantins.

Ces êtres, que nous appelons des animaux, parce que nous ne craignons pas la riposte, ont à un suprême degré la conscience du malheur et du bonheur, et prennent toujours des allures et une physionomie conformes à leur état de fortune.

Le chat malheureux s'oublie, se résigne, se néglige et adopte les airs d'un philosophe stoïcien, qui fait un perpétuel monologue sur les vicissitudes de la vie ; mais, si un rayon vient à luire, il secoue son indolence, cherche le soleil, se pavane sur les murs, relève ses oreilles, s'assoit fièrement en public, et se réhabilite à ses propres yeux, en détachant de sa fourrure, avec le peigne de sa patte, toutes les souillures de la pauvreté.

Ainsi faisait le chat du Saut-de-Maroc ; on ne le reconnaissait plus, tellement les soins de la toilette l'avaient remis à neuf.

À cette époque, j'avais un logement dans le musée de Marseille, et cette histoire se passa sous mes yeux. Je fis tous les efforts possibles d'imagination pour m'expliquer ce retour (...)
Un jour, le hasard d'une succession de pensées me mit sur la voie de la découverte, et je m'écriai, comme l'illustre géomètre : « J'ai trouvé le problème ! »

Les chats, comme les oiseaux, ont dans le sens de l'ouïe une délicatesse de perception dont notre sourde oreille humaine ne peut nous donner aucune idée.
Or, le chat du musée, mal précipité du Saut-de-Maroc, se raccrocha probablement aux pins et aux saxifrages qui hérissent la montagne ; revenu de sa frayeur, et tenant à la vie comme tous ceux de sa race, il songea sérieusement à regagner la maison témoin des jeux de son enfance, et d'où il avait été arraché par un ennemi extérieur.

Ici commence une odyssée qui supprime le génie inventif du héros d'Homère. Ulysse est l'homme des expédients vulgaires auprès de notre chat.

(Suite prochaine citation)
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