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Citation de EtienneBernardLivres


Cette fois, dis-je, il s'agit de deux chiens du musée ; on les nommait Castor et Pollux, quoiqu'ils ne fussent pas frères.
Castor était un vrai molosse ; Pollux, un jeune caniche de très petite taille.
Ils étaient liés d'une étroite amitié, comme les deux frères d'Hélène dont ils portaient les noms.

En général, les animaux connaissent l'amitié ; bien plus, quand ils sont unis, ils ne se brouillent pas. Le lion vit avec le chien dans la même cage, et ces deux amis ne se querellent jamais.

Castor, le molosse, avait contracté l'habitude de faire sa sieste, en été, dans un tombeau de pierre froide, qui est exposé dans le musée (…)
Pollux ne faisait pas de sieste, lui ; il s'acquittait de son devoir de gardien ; il se promenait dans le Musée des sarcophages et surveillait les étrangers, pour aboyer, en cas de vol d'antiquités phocéennes.

Il était très soigneux de son emploi, et lorsqu'on fermait les portes du musée, et que tout s'était passé conformément aux lois, il se présentait avec joie devant le concierge, pour recevoir, comme gratification, une caresse de sa main.
Un jour, à l'heure de la sieste, il n'y avait pas l'ombre d'un étranger devant les sarcophages et les plâtres du rhumée phocéen.
Pollux, ne redoutant aucun vol, sortit sur la place pour se délasser de ses travaux d'inspection, et engager une partie de soubresauts avec quelque jeune chien de son âge, ami du jeu.

La place du Musée était déserte, à cause d'une chaleur de trente degrés Réaumur ; mais il y avait beaucoup de chiens (...)
Les uns passaient rapidement, comme si des affaires importantes les eussent appelés ailleurs ; les autres se promenaient sans but, comme des péripatéticiens quadrupèdes ; on en voyait sous les arbres, qui dormaient comme des lazzaroni, ou qui se regardaient deux à deux, comme des chiens sculptés sur les pilastres d'un portail.

Le jeune Pollux, ne voyant que des amis dans ce club en plein air, cherchait un joueur ; mais son apparence de chien aristocrate réveilla les haines jalouses de cette inerte indigente ; on répondit par des grognements sourds à ses propositions amicales, et le plus hargneux de tous tomba, les dents en relief, sur Pollux ; le terrassa, et faillit le tuer sur place.
Les autres chiens assistèrent à cette scène dans une stoïque tranquillité.

Pollux s'échappa de la mâchoire de l'assassin, secoua sa toison dévastée, et, en quelques bonds, il avait atteint le seuil de son établissement.
Sans s'arrêter devant le concierge, qui ne l'aurait pas compris, il marcha droit à la salle des sarcophages, mit ses deux pattes antérieures sur le tombeau de Milon, et fit sortir de son gosier quelques notes pleines d'expression et de voyelles lamentables.
Castor se leva lentement, bondit hors du tombeau, aiguisa ses pattes sur les dalles, acheva de se réveiller, jeta un regard oblique sur Pollux, et prit, avec le calme de la force, le chemin de la grande porte du musée.

Castor, après avoir acquis la certitude de ne pas frapper l'innocent pour le coupable, quitta sa pose d'Hercule au repos, et marcha seul, d'un pas tranquille, vers l'assassin de Pollux.
Ce ne fut pas un combat, ce fut une exécution ; le coupable roula dans la poussière et l'ensanglanta.
Le châtiment donné, Castor reprit le chemin du musée, où Pollux l'accabla de caresses et de cris de joie.

Le molosse vengeur accepta ces démonstrations amicales avec froideur, comme pour montrer qu'il ne croyait pas le remerciement nécessaire après un si léger service, et il rentra dans la salle pour achever sa sieste au fond du tombeau de Milon.

Dans l'Histoire des chiens célèbres, je ne trouve rien de comparable à cette scène de Castor et Pollux ; il m'a été donné de la voir, et ceux qui l'ont vue comme moi ne peuvent encore l'expliquer.

Il faut nécessairement admettre, ce que j'admets, moi, que ces deux chiens avaient une sorte de langue pour se communiquer leurs pensées ; il faut admettre que Pollux a dit à Castor : « Un chien énorme vient de m'assassiner, là, sur cette place. » Ce n'est pas tout ; il faut admettre une chose encore plus répulsive à la raison ; il faut croire que, sur le seuil du musée, Castor a demandé : « Où est-il ? » et que Pollux a clairement désigné son assassin dans une meute de chiens de toutes tailles et de toutes nuances. Pollux aurait répondu : « C'est ce grand braque, qui a trois taches de feu. »

Certainement, la langue que murmurent les animaux, lorsqu'ils vivent ensemble, n'a aucun rapport même avec la plus imparfaite des langues primitives des sauvages ; mais elle leur suffit telle qu'elle est pour les besoins de leur association ; son vocabulaire est très borné ; il se compose de quelques modulations plus ou moins vives, qui ont un sens très clair entre deux animaux depuis longtemps amis.

Je développerai un jour ce système, en l'appuyant d'observations que j'ai faites et qui le compléteront.
Au reste, la sagesse indienne, en inventant les fables et les dialogues d'animaux, a donné à quelques anciens la première idée de ce système ; ainsi, je me garderais bien d'en réclamer les droits d'auteur.
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