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Citation de hcdahlem


(Les premières pages du livre)
Le pays où se déroule cette histoire, s’il évoque par certains aspects différents lieux d’Amérique centrale, est une invention de l’autrice. C’est également le cas du lac, du volcan, de l’hôtel, des habitants du village, de l’herbe magique, des lucioles qui n’apparaissent qu’une fois par an, une nuit seulement. De nombreuses espèces d’oiseaux décrites dans ces pages n’existent pas réellement. Cette histoire peut être qualifiée de chimère ou simplement de rêve. La partie sur le pouvoir de l’amour – et la capacité de ceux qui en vivent les effets à accomplir l’impossible – est réelle et authentique.

« Une chose sur les temps difficiles
J’avais vingt-sept ans quand j’ai décidé de sauter du Golden Gate Bridge. L’après-midi j’avais une vie merveilleuse et, une demi-heure plus tard, je ne voulais plus que mourir.
J’ai pris un taxi. Je suis arrivée près du pont juste après le coucher du soleil. Il se dressait dans le brouillard avec cette magnifique teinte rouge que j’adorais, quand je m’intéressais encore à la couleur des choses et des ponts, lorsque je les traversais. À l’époque où je m’intéressais à tant de choses qui me semblaient à présent dénuées de sens.
Avant de quitter pour la dernière fois mon appartement, j’avais fourré un billet de cent dollars dans ma poche. Je l’ai donné au chauffeur. Attendre la monnaie était inutile.
Il y avait des touristes, bien sûr. Des voitures circulant dans les deux sens. Des parents avec leurs enfants dans des poussettes. J’avais été comme eux.
Un bateau passait sous le pont. De là où je me trouvais, me préparant à sauter, je l’ai regardé s’engager entre les piles. Des hommes lavaient le pont du bateau. Plus rien n’avait de sens.
J’avais vaguement conscience qu’un homme âgé m’observait. Peut-être chercherait-il à m’arrêter. J’ai attendu qu’il s’en aille, ce qui s’est produit quelques minutes plus tard.
Sauf que j’étais incapable de faire le dernier pas, de monter sur le garde-fou, de passer par-dessus.
Lenny avait dit, un jour que le chèque de notre loyer avait été rejeté, la semaine où Arlo avait été renvoyé du jardin d’enfants parce qu’il avait des poux, que j’avais attrapé une mononucléose et qu’une canalisation avait éclaté dans l’appartement, détruisant une pile de dessins sur lesquels je travaillais depuis six mois : « Une chose sur les temps difficiles : quand on a atteint le fond, on ne peut que remonter. »
Debout sur le pont, tandis que je contemplais l’eau sombre et ses remous, je crois que j’ai compris autre chose. Même si ce que je vivais était affreux, une petite partie de moi ne pouvait pas abandonner le monde. Pleurer un deuil immense, comme je le faisais, devait servir d’une certaine façon à me rappeler que la vie était précieuse. Même la mienne. Même alors.
Je me suis éloignée du garde-fou.
Je ne pouvais pas le faire. Mais je ne pouvais pas non plus rentrer chez moi. Je n’avais plus de chez-moi.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à l’hôtel des Oiseaux.

1
1970
À partir d’aujourd’hui, tu t’appelles Amelia
Nous avons entendu l’information à la télévision, deux semaines avant mon septième anniversaire. Ma mère était morte. Le lendemain matin, ma grand-mère m’annonça qu’il nous fallait changer mon nom.
J’étais assise à la table de la cuisine – Formica jaune parsemé d’éclats en forme de diamants, éternel paquet de Marlboro Light de ma grand-mère, mes crayons de couleur disposés dans leur boîte en fer. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner, mais ma grand-mère ne décrochait pas.
« Ils peuvent tous aller au diable », maugréait-elle. Elle avait l’air en colère, mais pas contre moi.
Bizarre, les souvenirs. Je m’accrochais à mon crayon. Tout juste taillé. Bleu. Le téléphone sonnait sans arrêt. J’ai fait le geste de décrocher, mais Grammy m’a dit non.
« Les gens vont nous poursuivre. Ils auront tout un tas d’opinions. Il vaut mieux qu’ils ne fassent pas le rapport », m’expliqua ma grand-mère en prenant une cigarette.
Opinions sur quoi ? Rapport ? Quels gens ?
« On ne peut laisser personne découvrir qui nous sommes. Tu ne peux plus t’appeler Joan », décréta Grammy.
À vrai dire, j’avais toujours voulu un autre prénom que celui que ma mère m’avait donné, celui de sa chanteuse préférée. (Baez, pas Joni Mitchell. Même si elle les adorait toutes les deux.) Je lui demandais souvent de m’appeler autrement. (Liesl, comme l’une des enfants de La Mélodie du bonheur. Skipper, comme la petite sœur de Barbie. Tabitha, comme dans Ma sorcière bien-aimée.)
« Je peux m’appeler Pamela ? » demandai-je.
C’était le prénom d’une fille de l’école qui avait des cheveux magnifiques. J’adorais sa queue-de-cheval.
Grammy répondit que ça ne marchait pas comme ça. Elle avait déjà choisi mon nouveau prénom. Amelia.
Alice, une amie de Grammy au club de bridge, avait une petite-fille de mon âge. Je ne l’avais vue qu’une seule fois. Amelia. Elle était morte quelque temps auparavant. (D’un cancer, j’imagine, mais on ne prononçait pas ce mot à l’époque.) Après quoi, Alice avait cessé de venir au club de bridge.
Ma grand-mère raconta quelque chose que je ne compris pas au sujet d’un papier nécessaire avec mon nom dessus pour aller à l’école et prouver que j’existais.
« J’existe.
– C’est trop compliqué à expliquer », dit-elle. Il fallait qu’on déménage tout de suite. J’irais dans une autre école. On ne me laisserait pas entrer au cours préparatoire sans les papiers. Elle savait comment s’y prendre. Elle l’avait vu dans un épisode de Columbo.
L’après-midi même, nous sommes allées en bus jusqu’à un immeuble où ma grand-mère a rempli plein de papiers. J’étais assise par terre et je dessinais. Quand nous sommes parties, nous avions mon nouveau certificat de naissance. « C’est officiel. Maintenant, tu es Amelia », m’apprit-elle.
J’avais aussi un nouvel anniversaire, le même que celui d’Amelia qui était morte. Il me manquait maintenant deux mois avant mes sept ans. Ce n’était que l’un des nombreux événements qui se produisirent les jours suivants et qui me perturbèrent. « Ne pose pas autant de questions », répétait Grammy.

Ma grand-mère changea aussi de nom. Esther devint Renata. Pour moi elle était toujours Grammy, alors c’était facile. Il me fallut un certain temps pour me rappeler que j’étais Amelia et pas Joan. J’étais en train d’apprendre les majuscules. Je maîtrisais bien le « J », mais je devais tout recommencer avec le « A ».
Un carton arriva avec, à l’intérieur, des vinyles. Je les reconnus tout de suite : ceux de ma mère. L’écriture sur le carton était la sienne.
Quelques jours plus tard, les déménageurs vinrent. Ma grand-mère avait emballé toutes nos possessions, peu nombreuses en fait. Quand ils eurent emporté le dernier carton – ma poupée Tiny Tears, quelques livres, ma collection d’animaux en porcelaine, le ukulélé que ma mère m’avait offert pour mes six ans et dont je ne savais pas jouer, mes crayons de couleur –, je regardai par la fenêtre les hommes charger le camion. Personne n’avait dit où nous allions. On partait, voilà tout.
« Tu vois cet homme avec l’appareil photo ? demanda ma grand-mère en le montrant du doigt. Voilà pourquoi nous devons partir. On ne nous laissera plus jamais tranquilles. »
Qui ?
Les paparazzi. « Ceux-là mêmes qui ont rendu la vie impossible à Jackie Kennedy, au point qu’elle a été obligée d’épouser ce vieux bonhomme affreux avec son yacht. »
Je ne comprenais rien du tout. Le week-end suivant, nous défaisions les cartons dans notre nouvelle maison, un appartement avec une seule chambre à Poughkeepsie, dans l’État de New York, où vivait mon oncle Mack, le frère de Grammy. Il l’appelait toujours Esther, mais comme il ne m’avait vue que deux fois, ça ne lui a pas été difficile de m’appeler Amelia. Le premier soir, il nous commanda des plats à emporter chinois. Je lui tendis le petit papier plié dans mon biscuit.
« Une tasse est utile quand elle est vide », lut-il.
Il y avait une ombrelle en papier sur la table. Ouverte fermée, ouverte fermée.

Grammy trouva du travail dans un magasin de tissu. Comme ma mère ne s’était jamais occupée de me faire entrer à l’école maternelle, l’année précédente, elle m’inscrivit au cours préparatoire à l’école élémentaire Clara Barton. Par la suite, je n’ai posé qu’une seule fois des questions sur ma mère. J’avais l’impression que je n’étais pas censée parler d’elle et je ne le faisais pas.
Il n’y avait pas eu d’obsèques. Personne ne vint nous dire combien ils étaient navrés de ce qui était arrivé. Si Grammy possédait des photos de ma mère, elle les gardait dans un endroit qui m’était inconnu. En l’absence d’une image d’elle, j’en dessinai une que je glissai sous mon oreiller. Joues roses, yeux bleus, bouche en bouton de rose. Longs cheveux bouclés comme une princesse.
Quand, à l’école, les enfants me demandaient pourquoi je vivais avec ma grand-mère et pourquoi ma mère n’était jamais là, je répondais qu’elle était une chanteuse célèbre, mais que je n’avais pas le droit de dire laquelle. Elle était en tournée avec son groupe et répétait pour un spectacle au Hootenanny.
« Ça ne passe plus à la télé, dit un certain Richie qui fichait toujours la pagaille.
– Je voulais dire The Johnny Cash Show. Je les confonds toujours. »
Au bout d’un moment, il y eut moins de questions, mais de temps en temps un enfant demandait encore quand elle allait rentrer, si j’allais partir à Hollywood et si je pouvais leur donner un autographe.
Je répondais qu’elle s’était cassé la main. La main gauche, mais elle était gauchère. Je trouvais que cela rendait le mensonge plus convaincant.
« Je parie que ta mère n’est pas vraiment célèbre. Je parie qu’elle est bête, comme la grand-mère dans Beverly Hillbillies, dit Richie.
– Ma mère est très belle », assurai-je. Ça au moins, c’était vrai.

Les cheveux noirs et brillants de ma mère lui arrivaient à la taille et j’adorais les brosser. Elle avait de longs doigts élégants (mais des ongles sales) et elle était si mince que quand nous étion
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