Il est des livres que l'on se transmet de libraire en libraire, des découvertes littéraires qui façonnent autant des souvenirs forts de lecture que des liens d'amitié. C'est ce qui s'est passé à Dialogues avec les premiers romans de l'écrivaine américaine Joyce Maynard, et notamment L'Homme de la montagne. Depuis, nous la suivons de livre en livre et c'était un événement de l'accueillir à la librairie en cette rentrée.
Dans cet épisode, nous vous proposons de plonger dans l'oeuvre et le parcours de Joyce Maynard. Un parcours riche, semé d'embûches aussi, et au coeur duquel s'est toujours tenue l'écriture. Au fil d'une conversation en français avec Joyce Maynard, nous explorons le lien entre réalité et fiction, et vous entendrez aussi les voix de deux libraires de Dialogues, Nolwenn et Jeanne-Adélaïs, qui nous invitent à découvrir trois livres de l'autrice américaine.
Bibliographie :
- L'Homme de la montagne, de Joyce Maynard (éd. 10-18) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/8270438-l-homme-de-la-montagne-joyce-maynard-10-18
- Et devant moi le monde, de Joyce Maynard (éd. 10-18) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/2042688-et-devant-moi-le-monde-joyce-maynard-10-18
- Une adolescence américaine, de Joyce Maynard (éd. 10-18) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/8121778-une-adolescence-americaine-joyce-maynard-10-18
- Où vivaient les gens heureux, de Joyce Maynard (éd. 10-18) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/20927647-ou-vivaient-les-gens-heureux-joyce-maynard-10-18
- L'Hôtel des oiseaux, de Joyce Maynard (éd. Philippe Rey) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22541136-l-hotel-des-oiseaux-joyce-maynard-philippe-rey
- Beneficence, de Meredith Hall, à paraître aux éditions Philippe Rey
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Parfois il faut partir de chez soi pour devenir la personne qu’on doit être.
Il ne se passait jamais grand-chose sur le versant de la montagne où nous vivions et grandissions, Patty et moi. Et nous n’étions même plus abonnés à la télévision. En attendant qu’un événement inattendu survienne, nous inventions des situations. Le temps, c’était tout ce que nous possédions.
Survivre en ce monde n'est pas une partie de plaisir, (…). Parfois on a besoin de s'arrêter, de simplement s'asseoir et réfléchir. Rassembler ses pensées, ne plus bouger.
Ce que je vois en (...), c'est la possibilité qu'il existe un autre être humain sur cette planète devant qui je ne sois pas obligée de dissimuler ma véritable identité. Qu'est-ce que le désir d'un garçon de m'embrasser ou de coucher avec moi, comparé à l'extraordinaire sentiment de soulagement et de réconfort de trouver un autre être qui me reconnaît et me serre dans ses bras comme un compatriote perdu de vue depuis longtemps ?
Parfois je me demandais si le problème n'était qu'elle avait trop aimé mon père. J'avais entendu parler de cas de personnes qui ne se remettaient jamais de la mort ou du départ de quelqu'un qu'ils avaient trop aimé. On disait qu'ils avaient le cœur brisé. Un soir, pendant notre dîner de surgelés, au moment du troisième verre de vin, je faillis lui poser la question. Est-ce que pour haïr quelqu'un comme elle semblait haïr mon père, il ne fallait pas d'abord l'avoir beaucoup aimé ? Comme dans le jeu de bascule : plus bas descend l'un, plus haut monte l'autre. J'ai failli par conclure que ce n'était pas d'avoir perdu mon père qui avait brisé le cœur de ma mère – si c'est bien ce qui lui est arrivé -, c'était d'avoir perdu l'amour tout court.
Je ne sais pas ce qui est le plus dur. (…) Quand on a la sensation de ne plus pouvoir continuer, ou quand on commence à se rendre compte qu'on continuera.
On ne change pas le passé. Tout ce qu'on a à faire, c'est partir de là où on est maintenant.
Quand on essaie par des efforts permanents de faire en sorte que tout soit toujours parfait pour ses enfants, on risque d’atteindre le point de rupture.
"Ton frère est très sensible", expliquait Val, mais pour moi c'était beaucoup plus que ça. Il me semblait que mon frère ne possédait pas, comme les autres, cette qualité essentielle qui permettait d'aller au bout d'une journée. Il n'avait pas le cuir assez dur.
[...]
"Il faut voir la réalité en face, sœurette", me dit-il une autre fois. On regardait à la télévision un reportage sur le Vietnam. On y voyait des Vietnamiens devant leur village incendié et des enfants nus qui pleuraient. "Le monde est vraiment une saloperie. C'est du chacun pour soi, faut pas aller chercher plus loin."
Si la célébrité est le rêve étincelant de la culture américaine, elle en est peut-être également le fléau. Nous aimons voir nos vedettes se hisser vers les sommets, pendant quelque temps du moins. Ensuite, avec quel plaisir, plus grand encore, nous les regardons tomber. Et puis, évidemment, quand elle sont au fond du trou, elles peuvent le raconter dans un livre, et renaître de leurs cendres.
Joyce Maynard, postface