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Citation de mimo26


La pluie fouettait violemment les fenêtres. L’eau ruisselait le long des vitres et débordait des gouttières. Sous les puissantes rafales de vent, les branches de peupliers venaient griffer les murs.
Assis à une des tables donnant sur la rue, William Wisting regardait dehors. Des feuilles mortes collées au trottoir mouillé furent soulevées et emportées par une bourrasque.
Un camion de déménagement attendait sous le déluge.
Un jeune couple arriva avec de grands cartons et se dépêcha de rejoindre le porche d’un immeuble.
Wisting aimait la pluie. Il n’aurait su dire pourquoi, mais c’était comme si elle mettait la vie en sourdine. Elle lui faisait relâcher les muscles de ses épaules, et son pouls battait un peu moins vite.
Une musique feutrée, jazzy, se mêlait à celle de l’averse.
Wisting se tourna vers le comptoir. Les flammes des nombreuses bougies projetaient des ombres vacillantes sur les murs. Suzanne lui sourit, tendit la main vers l’étagère et baissa légèrement le volume.
Ils n’étaient pas seuls dans cette salle tout en longueur.
Trois jeunes étaient assis autour d’une table à l’autre bout du comptoir. Ce café à la fois tranquille et branché était devenu le quartier général des élèves de l’École supérieure de police.
Wisting regarda de nouveau par la fenêtre, sur laquelle était inscrit La Paix dorée en un arc de lettres qui lui apparaissait à l’envers mais qu’il connaissait par cœur. Galerie et bar.
Ce café avait été le rêve de Suzanne. Depuis combien de temps? Il l’ignorait. Un soir d’hiver, elle avait posé le livre qu’elle était en train de lire et lui avait dit qu’il racontait l’histoire d’un capitaine de ferry sur l’Hudson River. Toute
sa vie, il avait fait la navette entre New York et Jersey City.
Jour après jour, année après année. Puis un beau matin, il avait pris une décision. Il avait fait changer de cap au bateau, et, les moteurs tournant à plein régime, s’était dirigé vers l’océan, le vaste océan, son rêve de toujours. Le lendemain, elle avait acheté ce local.
Elle lui avait demandé quel était son rêve à lui, mais il n’avait pas répondu. Pas parce qu’il ne voulait pas, mais parce qu’il ne savait pas. Il aimait sa vie telle qu’elle était.
Son travail d’enquêteur lui donnait le sentiment de faire quelque chose d’important et qui avait du sens. Il ne souhaitait pas qu’il en fût autrement.
Il souleva sa tasse de café, prit le journal du dimanche posé un peu plus loin et jeta de nouveau un regard dans la pénombre automnale. D’ordinaire, il choisissait une table au fond de la salle, où sa présence était plus discrète. Mais par ce temps, il n’y avait pas grand monde dehors et il pouvait être assis près de la fenêtre sans que des passants le reconnaissent et entrent pour engager la conversation. Il avait fini par s’habituer à être accosté dans la rue, ce qui se produisait de plus en plus souvent depuis qu’il avait eu la faiblesse d’accepter de participer à un talk-show télévisé pour parler d’une
affaire sur laquelle il avait travaillé.
Un des jeunes de la table au bout du comptoir l’avait vu quand il était entré et avait donné un coup de coude aux deux autres. Wisting aussi l’avait reconnu. C’était l’un des élèves de l’École de police. Au début du semestre, il avait été invité à y tenir une conférence sur l’éthique et la morale.
Le garçon faisait partie de ceux qui étaient assis au premier rang.
Wisting regarda la Une du journal où s’affichaient des conseils pour maigrir, la météo prévoyant encore plus de pluie et des intrigues amoureuses dans un programme de téléréalité. Il était rare que les journaux du dimanche
annoncent de véritables informations. Que des «news en conserve» comme Line appelait ces «nouvelles» qui avaient traîné pendant des jours et des semaines dans les salles de rédaction avant d’être publiées. Cela faisait bientôt cinq ans que sa fille était journaliste à VG. C’était un métier qui
convenait à sa curiosité et à son sens critique. Elle avait fait le tour des services, mais pour l’heure travaillait dans celui des affaires criminelles. Ce qui voulait dire que sa rédaction couvrait parfois des affaires sur lesquelles son père enquêtait.
Père et sujet d’articles, c’était un double rôle qu’il avait tant bien que mal réussi à endosser. Ce qu’il avait reproché au choix de carrière de sa fille, c’était qu’il lui ferait côtoyer toutes les horreurs de la société. Wisting était dans la police depuis trente et un ans. Cette expérience lui avait fait acquérir une certaine connaissance en matière de brutalité et de cruauté humaines, mais aussi causé beaucoup d’insomnies.
Il aurait préféré épargner tout cela à sa fille.
Il feuilleta rapidement le journal, ne s’attendant pas à y trouver un article de Line. Il lui avait parlé avant le weekend et savait qu’elle était en RTT.
Il appréciait de plus en plus d’échanger avec sa fille à propos des nouvelles. Il avait eu du mal à l’admettre, mais ces conversations avec elle l’avaient aidé à mieux prendre conscience de son rôle de policier. Elle avait un regard extérieur sur sa profession, qui l’avait souvent amené à remettre en cause l’idée qu’il se faisait de lui-même. Dernièrement, lors de cette conférence où il avait insisté sur l’intégrité, l’honnêteté et le code de bonne conduite des policiers – des qualités essentielles pour que la population ait confiance en
eux –, il avait trouvé que les positions de Line sur le sujet avaient donné plus de poids à ses déclarations. Il avait essayé d’expliquer à ses futurs collègues l’importance de respecter ces valeurs quand on endossait l’habit de policier. De rester objectif et sincère, sans jamais perdre de vue le devoir de faire jaillir la vérité.
Il en était à la page des programmes télé, à la fin du journal, quand les étudiants se levèrent de table. Ils restèrent près de la porte le temps de boutonner leurs vestes. Le plus grand des trois chercha à croiser le regard de Wisting. L’enquêteur sourit et hocha la tête.
— Vous êtes en repos aujourd’hui? demanda le jeune homme.
— C’est un des avantages de ce métier, quand on a travaillé
aussi longtemps que moi pour l’État, répondit Wisting.

Service de huit heures à seize heures, et j’ai tous mes weekends.
— À propos, merci pour votre conférence.
Il posa sa tasse de café.
— Merci à vous, c’est gentil.
L’étudiant voulait ajouter quelque chose, mais le téléphone de Wisting sonna. Il le sortit, vit que c’était Line et répondit.
— Salut Papa, dit-elle. Quelqu’un du journal t’a appelé?
— Non, répondit-il en faisant un signe de tête aux trois étudiants qui s’en allaient. Pourquoi? Il s’est passé quelque chose?
Il y eut un moment de silence avant que Line ne reprenne.
— Je suis à la rédaction, dit-elle.
— Je croyais que tu ne travaillais pas…
— Je sais, mais je suis sortie faire un peu de sport et j’ai eu envie de monter jeter un coup d’œil.
Wisting finit son café. Il se reconnaissait dans sa fille.
Cette envie de savoir et d’être toujours là où il se passait des choses.
— Il sera question de toi demain dans le journal, le prévint Line. Mais cette fois, c’est après toi qu’ils en ont. Ils veulent ta peau .
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