Dès les premières pages, l’écriture de Judith Chavanne se pose d’emblée comme un point d’équilibre, comme une mise en suspension, entre un détail qui a retenu l’attention (la terre, un arbre, un vol ou un chant d’oiseaux, le soleil ou encore les gouttes d’eau sur une vitre,...) et l’état intérieur que celui-ci suscite.
Ce détail révèle un temps qui nous précédait, qui nous portait déjà, un temps immuable, protecteur dans lequel nous pouvons nous reconnaître, nous retrouver mais qui nous renvoie aussi à notre impermanence, à notre vacuité.
Intuitive, sensible et lyrique, c’est toute la poésie de Judith Chavanne qui est contenue dans ce très beau recueil au titre magnifique et singulier (Entre le silence et l’arbre), nous livre une attention toute particulière d’être au monde.
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Cet ouvrage comprend cinq
moments de poésie :
. Le sol et l'envol,
. Ce qui nous appelle,
. Dans l'évidence,
. Entre nous l'espace,
. L'exclamation et le suspens.
Pour Judith Chavanne le temps — bleu —
ne dure qu'une halte d'oiseau.
Elle habite un pays où les arbres entrent en
dialogue dans un froissement de feuillage.
Elle insiste sur ce pays, où les oiseaux, autrefois
messagers, se posent et nous adressent cette
authentique page de silence.
L'auteure nous décrit la décoration de l'espace
avec une simple branche, « un peu nue comme
la solitude ».
Judith Chavanne reste humble et lucide
devant la l'énigme de la fleur si fragile,
qu'elle suffit à décourager nos mots et
nos airs d'importance.
Enfin l'auteure poursuit l'évocation
du désir, du pur désir qui « jubile
d'être vivant », et le galop des flocons
de neige, ces hérauts de pure blancheur.
Ainsi ces quelques extraits :
" Ce qui nous appelle
À Clémence
L'enfant s'émerveille d'un oiseau, elle appelle,
qu'on partage avec elle cet émoi.
Elle se tient debout devant
la fenêtre : l'aile est si belle, ce bleu
que l'oiseau ne porte pas ailleurs sur son corps.
Et l'on vient en effet, on se tient
debout aussi, à côté ; ce qui a lieu
alors entre nous, on n'a plus l'ardeur
d'en tirer une sorte de foi.
Mais on sait cela : on est deux,
unies devant l'arbre à la faveur
et à l'intérieur même du bleu,
le temps que dure une halte d'oiseau.
p.23
" Ce qui nous appelle
Feuille à feuille, on entend le vent ; il dénoue l'arbre
depuis un silence de bois,
le tronc imperturbable comme l'homme qui se renfrogne,
l'enfant obstinément se tait,
qui veulent se faire une force
du refus.
Passe la première brise,
on dirait qu'elle secoue les feuilles
des chants d'oiseaux goûteux comme des fruits.
L'arbre entre en dialogue, se multiplie.
p.24
" Ce qui nous appelle
Il nous est venu un oiseau,
gorge blanche, menu corps,
un passereau muet qui s'est posé
à hauteur de regard et de reconnaissance
derrière le carreau ;
comme il nous aurait adressé
dans l'enveloppe une page de silence,
comme on aimerait soi-même songeant
à ceux qu'étreint un noir chagrin
confier aux oiseaux autrefois messagers
le soin de dire sans dire,
sur la pierre en hauteur se posant simplement,
comme un soupir : douceur !
p.29
" Ce qui nous appelle
Pourtant , il y a la douceur ;
la façon comme un sourire en avril
que le prunus et le cerisier ont d'éclore ;
à des carrefours, la marche suspendue
le temps qu'on hésite, et le corps
qui prend avec grâce une pause inconnue ;
le rythme plus lent sur lequel se prononce
une amie, comme pour nous laisser le temps
de nous installer dans une parole partagée ;
et cette place qu'on s'accorde aussi
en aimant en secret, destinant des pensées
que l'on sait pouvoir être reçues.
Il ne suffit pas que l'âme soit effleurée ;
mais on peut sans doute aller sans frémir,
avec l'air, la voix, les corps, l'absence même
et la nature inventive pour alliés.
p.33
" Dans l'évidence
Elle aimait dès qu'il était temps
placer dans un vase une branche de prunus,
arbre de premier printemps
aux fleurs légères, dispersées ;
elle disposait une branche un peu nue
comme la solitude.
Elle posait le vase haut et long
sur la table désencombrée du salon.
L'espace alors prenait une autre dimension
et, se tournant vers la branche, on se souvenait
d'une intériorité, de la résonance,
d'une ferveur en nous tremblante
qui cherchait à frayer sa croissance,
malgré l'étouffement des jours à chanter ;
même en silence, à vibrer de toute sa précarité.
p.39
" Dans l'évidence
Fleur, à laquelle je reviens comme à une énigme,
même la moins parée,
fleur de talus le long des routes et des voies ferrées
ou des champs : coquelicot, camomille
et celle, si bien nommée
que l'on dit compagnon rouge ou blanc,
plus vive dans l'herbe que tous les désenchantements.
Insolente, légère, si elle est fragile,
que dire ? ni Dieu, ni sens,
qui décourage nos mots, nos airs d'importance.
Taisons-nous, il suffit
si devant elle le cœur sourit, s'il se fond
à la couleur — nous aimons.
p.40
" Dans l'évidence
L'enfant a désiré qu'on la regarde
tracer son étoile sur le papier.
On en avait accompli pourtant des travaux
et vécu des journées ; fallait-il
ce dépouillement d'un matin de novembre
pour comprendre dans la clarté ce qui s'accomplissait ?
La lumière, si elle pouvait, se sentirait croître
dans l'herbe, le bouleau, ou le rosier.
On a su soi-même qu'une vie pouvait
trouver sa paix dans cette simple demande,
pour avoir, à l'appel de l'enfant,
soutenu la naissance tremblante d'un trait.
p.41
" Dans l'évidence
Un geste du temps passant,
une main de lumière
au front des sapins assombris
que battaient le vent, la pluie ;
alors les jardins mouillés s'illuminent
pour rien, que l'instant,
et le désir, le pur désir
par la lumière éveillé qui jubile
d'être lui, vivant.
p.46
" Entre nous l'espace
Il suffit parfois d'une main qui échappe,
elle touche, incidemment, la peau ;
un corps naît où il y avait une absence,
un corps, un saisissement.
Ce premier effleurement,
ce n'est pas toujours le prélude à une danse
mais nous sommes sous les doigts
vivants comme un envol frémissant d'oiseaux.
p.55
" L'exclamation et le suspens
Peut-être la neige. Comme si
on avait pu entendre, venu de très loin, très haut
le galop des flocons avant d'en apercevoir
une image…
On y croyait ; elle ne tombait pas,
mais on se serrait dans le manteau de son imminence,
et le sapin était noir, plus qu'aucun jour.
Ainsi vêtu, de la nuance de nuit dont sa robe
s'approfondissait,
il était le héraut véritable
de la pure blancheur.
p.67
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Les poèmes de Judith Chavanne sont faits de silence, de voix dans les feuilles, de lumière et d’ombre, de pénombre qui attend, comme "une présence tardive, un murmure qui se poursuit". Le livre comprend deux recueils de textes : « Un seul bruissement » nous ramène aux "signes/discrets/de l’existence", à ces gestes à peine perceptibles, un frôlement de plumes, un froissement léger de l’air, une main sur l’épaule "comme la lumière sur l’écorce". Ce bruissement nous renvoie aussi à cet enfant qui dort, sa respiration se mêle au vent dans les branches, à l’oiseau qui roucoule. L’enfant encore qui semble venu d’un autre temps, qui "trace des lettres à l’encre et la plume à la manière de très lointain écolier", un écolier bien différent de celui de Prévert car il n’entend pas l’appel de l’oiseau, trop appliqué à sa tâche.
La deuxième partie intitulé « Les aînés, ceux qui les suivent » a une tonalité, me semble-t-il, beaucoup plus grave. L’enfant y rencontre l’aïeule et s’interroge sur la mort : "mourir, comme l’éclat aux cimes, se prépare depuis la racine." Mais l’enfant qui s’interroge, invente aussi, comme le poète, car "il faut des légendes pour s’entretenir avec la mort."
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Bref recueil célébrant la magie de la nature, la beauté de l'enfance et les saisons, L'Empreinte d'un instant offre au lecteur des visions émerveillées d'un monde sur lequel Judith Chabannes jette un regard nouveau. Senteurs, couleurs et douceurs d'un jardin qui nous entoure ; multiples fleurs aux parfums délicats et aux lumières chatoyantes qui se révèlent ; richesse de la contemplation d'un lieu que nous découvrons sous sa plume ; autant de thèmes qui nous entraînent dans une lecture intense.
"Comme si nous étions décidément trop vains pour jamais nous poser ; pour imprimer à notre existence l'empreinte d'un seul et clair instant."
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Un recueil qui dit l'effacement de la mère au fil du temps.
D'abord "Une syllabe", section consacrée au dialogue. Quatre pièces qui traduisent l'empreinte de la figure maternelle disparue : "Entre nous désormais la relation est de murmure / ou de pensée : c'est peu, c'est ténu". La magie de la langue qui permet d'appeler l'absente : "je te dis "tu", tu es là".
Puis, la section "Stations", plus dense, pour souligner l'angoisse de la mort à venir. La métamorphose de la mère en mourante : "C'est un petit vieux que j'ai entrevu, / non la femme vieille que tu étais devenue, / maigre, sans perruque, sans cheveux, / la peau sèche, prête à s'effriter si on la touchait." La solitude après l'ultime départ : "Mais nous, en quel temps et où / nous avais-tu laissés ?".
A nouveau une section plus courte, "Legs" : la poétesse dit sa détresse, son étrangeté, comme en exil : "Je suis, je vais en terrain vague, / sans foyer, en apatride presque, mais / je pressens, le redoute : / il n'y a de terme / à mon étrangeté, mon exil / que, sous les tilleuls, ta sépulture. / Et de m'y être résolue."
"Feu les regards" offre de multiples pièces comme autant de souvenirs : le passage des saisons et l'absence de l'être aimé, le retour du printemps et la douleur qui persiste ; la lumière qui revient et les années qui passent. "Je peux aussi, au mépris de tes os / décharnés, te rêver poudre, te croire / dans la tiédeur tout entière amalgamée, / déjà couleur d'automne".
"Envoi" clôt le recueil et signe l'acceptation de la mort : "Il est temps. / Qu'il est long pourtant de se séparer. / Il faut replier ces pages, achever / une cérémonie de dix années. / [...] Il faut advenir, fermer le cahier / - ton cercueil l'est depuis longtemps - / et laisser sur le fleuve les péniches aller."
Une expérience du deuil, avec beaucoup de dignité et de sensibilité.
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