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Citation de Erveine


Quel drôle d’homme ! C’était vrai qu’il souffrait, l’été, et ne se réveillait qu’au moment où un semblant d’hiver s’abattait sur la Mitidja. Mais quoi, toujours la pluie à ce moment-là, des bourrasques, des ouragans liquides, à part les rares fois où de la neige était tombée en fondant presque tout de suite, sauf sur les crêtes où elle demeura des jours et des jours, étincelante sous le soleil revenu. À Marie Aldabram l’hiver ne manquait pas à ce point. Marjol, c’était d’abord de ça qu’il avait faim. Le ciel englouti, les routes bloquées, les maisons recouvertes jusqu'au toit, la montagne poudrée, ouatée, fleurie, étouffée sous la neige, les bois figés dans le silence et la blancheur, les nuages bas roulant leur épaisseur de ténèbres, des bouts de vallées avec leurs haies ensevelies, des arêtes de rochers noirs, des plaques de gel avec leur gerçures et leurs yeux d’huile, des touffes de trèfle durci, des chevaux qu’on n’avait pas ramenés dans les fermes et qui s’ennuyaient dans les pâtures mortes, droits sur leurs membres velus, reniflant désespérément l’herbe enfouie, et à qui on tendait une croûte de pain. Mais surtout des traces. En temps normal, on pourrait croire la forêt déserte. Il suffisait d’une giboulée de neige pour marquer le passage de toutes les bêtes qui l’habitaient : des sabots de chevreuils, des pattes de renards, des griffes de mulots sortis de leurs galeries, des étoiles d’oiseaux, des batailles de freux au pied d’un noisetier, des sauts de lièvres ou d’écureuil. Il entendait le crissement de ses semelles sur la neige poudreuse, y enfonçait les mains, s’en barbouillait le visage, en mangeait, Un prince. Seul. Tout ça à soi. D'une crête, il regardait la neige souveraine, ce tombeau royal, cette escadre triomphale de voiliers en route vers l’éternité sur laquelle, à midi, passait la fanfare des cloches accompagnée d’une voix de bronze sourde, pareille à celle des canons. Des pensées et des audaces qu’on n’aurait jamais eues se débridaient au retour, quand on respirait au village l’odeur des femmes. Jamais d’hiver ici, que ces déferlements qu’un soir amenait de l’ouest et qui battaient la plaine, cette humidité qui vous faisait grelotter. Alors, il s’enfermait, allumait du feu dans la cheminée, regardait le bois flamber et tisonnait avaricieusement, car le bois d’ici brûlait vite, sans braises, sans cette diversité de flammes de là-bas, sans ces vapeurs, ces moirures et ces panaches des essences. Pourtant, là-bas, souviens-toi Marjol, l’hiver n’était pas tellement drôle. L’hiver, il tardait toujours à Marie Aldabram de se coucher près de son mari. Une chaleur rayonnait de cette grande carcasse étendue dans l’ombre, avec ses douleurs et ses éclairs féroces. (p 275-276)
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