Après une période de sécheresse qui désagrège le sol végétal, survient une crue qui, en très peu de temps, peut élever le niveau des criques de sept, huit neuf mètres, et le courant détache de la rive et emporte alors dans son impétuosité de véritables monceaux de terre : bientôt un arbre, faiblissant par la base, s'incline, - toujours du côté de la rivière, - finalement il tombe, et quand il est tombé, l'arbre voisin dont la racine cesse d'être calée par le précédent est bien près de le suivre et de tomber à son tour.
Contrairement à l'opinion qui a généralement cours en Europe, ce n'est qu'artificiellement qu'ils deviennent vraiment des "Peaux-Rouges", dans toute l'acception du terme : et c'est en s'oignant l'épiderme, de la cime des cheveux à la plante des pieds, avec le roucou* qu'ils acquièrent leur aspect pourpré. Ils allient cette substance tinctoriale à de la graisse de palmier, à l'huile de carapa, d'odeur chaude et pénétrante, et obtiennent, en malaxant le tout ensemble, une sorte d'onguent avec lequel je vis, le soir même de mon arrivée, Calamou et sa jeune femme se frotter et se peindre mutuellement le corps en toute sa surface.
* espèce d'arbre.
- Que voulez-vous, me disait-il en manière d'excuse, le métier a ses inconvénients, c'est évident : mais il a du bon aussi...et puis on est bourreau ou on ne l'est pas ! Veuillez songer qu'à chaque exécution, je touche une boîte de sardines, un litre de vin, un pain et deux paquets de tabac, plus une gratification de cent francs...C'est pourtant à considérer tout cela !...
Le libéré, m'expliqua mon interlocuteur, est un coupable qui a terminé le temps de bagne auquel le condamnèrent les tribunaux; mais, chose qu'on ignore généralement en France, sa relégation ne prend pas fin pour cela. Il doit "doubler" sa peine; c'est à dire qu'il est astreint encore à un séjour à la colonie de même durée que la condamnation qu'il avait encourue.
Le terme "maraudeur" nécessite une explication : on appelle maraudeurs en Guyane, des mineurs, des chercheurs d'or qui agissent isolément, en dehors des placers connus et organisés, et travaillent secrètement pour leur compte, sans s'être mis en règle avec la loi qui exige pour les recherches et prospections de l'or, une inscription au "service des mines", un permis d'exploration qui coûte 50 francs l'an.
...Calamou, qui tient à se montrer très hospitalier, fabrique avec des feuilles de tabac desséchées au soleil, de longues cigarettes enroulées dans une écorce mince comme du papier, dénommée tamouï. A mesure qu'il les confectionne, il les loge entre ses orteils transformés en porte-cigarettes; puis quand il juge qu'il y en a suffisamment, il nous les distribue.