Paisible, lumineux, ondoyant, agité, tempétueux ou noir: le Léman peut être tout cela. Le dernier livre du Lausannois Julien Burri, qui vient de paraître aux Editions Bernard Campiche, égrène aussi une palette de nuances, du clair au sombre. Prendre l’eau commence comme un polar rappelant une tragédie survenue il y a quatre ans en Suisse. Un après-midi radieux au bord du Léman, un jeune couple profite de sa «première plage de l’année». Odile et Simon embarquent dans un canot pneumatique, puis c’est le drame. Elle se retrouve coupée en deux par l’hélice d’un bateau.
Georges, doyen de la rédaction du quotidien L’Aurore, est convaincu qu’il s’agit d’un meurtre. Le lecteur fait sa connaissance trois ans après les faits, au moment du procès du conducteur du bateau. Le journaliste n’a toujours pas pu prouver sa théorie, le seul témoin de la scène demeurant introuvable. Le coupable, un notable local qui a fait valoir une cataracte pour se dédouaner de toute responsabilité dans l’accident, s’en tire à bon compte. L’affiliation avec le roman policier s’arrête ici. Ce qui s’est réellement passé ce jour-là importe moins que ce qui se trame en chacun des protagonistes. Outre Georges, journaliste à l’ancienne qui aime prendre son temps pour enquêter et se trouve finalement remercié par son employeur, on croise le témoin, le survivant endeuillé, mais aussi Monsieur, soit le coupable, et sa femme, Madame.
«Enfermés dans leur solitude, tous les personnages composent l’image d’une réalité aussi changeante que ce lac qu’ils côtoient quotidiennement»
Enfermés dans leur solitude, tous composent l’image d’une réalité aussi changeante que ce lac qu’ils côtoient quotidiennement. Car le personnage principal, c’est lui, le Léman. La multiplicité des points de vue fait exister autrement cette étendue d’eau, devenue banale pour qui respire à ses côtés. De sa plume fluide et poétique, Julien Burri lui confère une vraie personnalité. Le Léman offre aussi bien un «calme sournois» qu’une manifestation plus bruyante: le lac déglutit, gargouille, expulse de l’air, avant de redevenir «une nuit lisse et brillante». Aussi insaisissable est la vérité. Fanatique des puzzles les plus ardus depuis l’accident, Madame le sait: le lac, au bord duquel est plantée la maison qu’elle partage avec Monsieur, est la pièce manquante. Un paysage lacustre «tellement beau qu’on dirait une image de synthèse», avait remarqué Odile peu avant de mourir. Mais, contrairement à la lisse réalité virtuelle questionnée à plusieurs reprises dans le livre, la peau changeante du lac cache ce qui se joue dans ses profondeurs. Si le roman prend l’eau, c’est donc seulement parce qu’il emmène le lecteur au-dessous de la surface éblouissante du Léman. Dans les demi-vérités, les compromissions et les espoirs déçus. Dans les vies qui continuent après les drames.
Lien :
https://www.24heures.ch/cult..