AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Un roman qu’on entreprend d’écrire, quelque extrême liberté de traitement qu’on se promette d’y apporter, ne se comporte
aucunement comme un sujet de poème, qui n’existe, lui, que
totalement intérimaire dans l’attente de métamorphoses successives, et dont la ductilité, la docilité au travail du langage,
à l’aventure verbale reste sans limites. Dans le sujet de roman,
il existe un minimum de structure interne résistante – des blocages dissimulés, des échos internes complexes qu’un heurt fortuit va soudain éveiller, des automatismes qui vont se faire jour,
des phénomènes de rejet, des affinités au contraire brusquement révélées. La contradiction propre au romancier est que,
de son sujet, le langage seul utilisé selon ses pouvoirs propres
éveillera les possibilités, mais qu’en même temps, sur lui, les
mots ne disposent pas de la toute-puissance qui est celle des
mots du poème, parce que la passion du romancier pour son
roman ne s’est pas éveillée en face d’un ectoplasme, mais d’une
figure non déformable à volonté, qui possède simultanément et
le flou du rêve, et des lignes, un rythme, certains mouvements
d’une netteté parfaitement concrète et pour lui ensorcelante,
figure que, d’une certaine manière, il n’a de cesse par le moyen
de son roman de chercher à rejoindre. Le roman ne vit que par
le genre de liberté que lui donne le langage, utilisé selon ses
vrais pouvoirs, mais il n’est tiré du néant que par la contrainte
qu’impose de bout en bout au romancier une image exigeante,
une obsession non entièrement littéraire dans sa nature. «Adorable fantôme qui m’as séduit, lever ton voile!» supplie le faiseur
de romans – mais la muette apparition lui met en mains un
porte-plume.
En fait, on n’a jamais cherché à serrer de près les relations
du romancier et de son sujet avant: avant le moment où il va
commencer à l’écrire, c’est-à-dire à jouer sa chance. L’acte de
l’écrire rature à peu pres tout souvenir de cette période d’incubation parfois très longue, parfois très courte: on retire les échafaudages. Il semble que le sujet se comporte un peu, vis-à-vis
des propositions imprévues de l’écriture, comme une substance
de propriétés chimiques mal connues, avide d’entrer en composition avec certains corps, insensible à d’autres. C’est ce qui
fait que 1’ordonnance formelle d’un roman lui est de si peu de
chose, et un tact plus proche du sens intuitif qui s’éveille dans
l’amour au contraire si important: « composer »un roman – au
lieu de guetter et de suivre à chaque instant de son progrès les
résonances et les harmoniques qui s’éveillent – c’est soumettre
à la géométrie ce qui relève de la chimie. Mais ces harmoniques
d’une part, ces résistances inattendues, de l’autre, ne se réveilleront nulle part ailleurs que dans le work in progress, jamais
autrement qu’au fur et à mesure de son avance.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}