Platon aurait-il inventé le septième art ? L'allégorie de la Caverne figure un stupéfiant "comme au cinéma". Ce mythe fondateur de la philosophie met en scène des hommes retenus prisonniers depuis leur enfance dans une grotte ; enchaînés, ils sont contraints à regarder devant eux, sans pouvoir détourner la tête. De derrière où brûle un feu, des marionnettistes agitent différents objets dont les ombres, sous l'effet des flammes, se projettent sur la paroi avant. Ignorants du monde, les prisonniers prennent ces projections pour la réalité. Flash forward : vingt-cinq siècles avant que le cinéma ne voie le jour, cette fable antique anticipe avec acuité l'architecture de la salle obscure : immobile, le spectateur de cinéma observe des simulacres projetés devant lui, coupé du monde réel auquel il tourne le dos. Les ombres du cinéma et celles de la Caverne ressemblent à s'y méprendre à la réalité.
C'est parce que la salle obscure lui fait étrangement penser à la Caverne que la discipline philosophique a longtemps ignoré voire méprisé le cinéma, le philosophe étant l'être supérieur qui parvient à sortir de l'obscurité de l'antre. S'extraire de la Caverne, s'élever, c'est préférer le monde original aux images projetées.
"Je pense, donc le cinéma existe" affirme Godard. En détournant le "Je pense donc je suis" de Descartes, le cinéaste, philosophe d'un nouveau type, dit combien la pensée est constitutive du septième art.
L'élite philosophe rechercherait la pureté du concept, l'ascension vers l'Idée. "Le cinéma, ce grand impurificateur, risque toujours de trop plaire, d'être une figure de l'abaissement."