« Un pour cent maximum, déclara le conducteur en levant l'index. Un pour cent au mieux de ces yogis sont authentiques, et la plupart d'entre eux vivent au sommet des montagnes où vous allez. Par ici, et plus bas à Rishikesh, ceux qui partent en quête de Dieu font bien rigoler tout le monde.
- Ce matin, un homme qui tenait un morceau de chair humaine dans sa main m'a proposé de devenir mon guru.
- Il était couvert de cendres ? Près d'un bûcher funéraire ?
- Absolument, répondit Max.
- C'est un Aghori Baba. Ils se nourrissent de carcasses d'animaux et de restes humains pour montrer qu'ils aiment toutes les créatures de Dieu, même les plus repoussantes. Ils ont l'air effrayant, mais ils sont complètement inoffensifs.
- Et les hommes avec des visages peints et des marques rouges ?
- Des fidèles du dieu Shiva. Si je fumais autant de hachisch qu'eux, moi aussi je verrais Dieu partout. »
Sa quête de réponses sur le sens de la vie l’avait conduite en Inde. D’après elle, dans ce pays, vous n’aviez qu’à tendre la main pour tomber sur un soi-disant guide spirituel qui finirait par vous demander de l’argent, des cadeaux et parfois même des relations sexuelles. Échaudée, elle avait abandonné sa recherche et, alors qu’elle s’était résolue à étudier seule les anciennes doctrines orientales, elle avait rencontré un Sud-Américain dans un refuge au sommet de l’Himalaya. Les enseignements de cet homme avaient enfin donné du sens à son voyage. Après toutes les histoires simplistes et naïves que Max avait lues, du genre « Eh mec, j’ai trouvé la lumière en Inde », le récit posé de cette femme lui sembla prometteur.
Il ne désirait plus trouver la paix pour lui-même. Il voulait atteindre l'autre côté afin de revenir avec des réponses pour les autres Cette fois, il ne laisserait pas son corps, sa vie, disparaître avant d'avoir atteint son objectif.
« Ils croient - et ce n'est pas ma croyance, monsieur, je tiens à la préciser - que le monde est formé d'opposés : haut et bas, froid et chaud, obscurité et lumière, nuit et jour, été et hiver, croissance et déclin. Alors, s'il y a la naissance, la vieillesse, la souffrance, le chagrin et la mort, il doit exister quelque chose qui n'est pas né, ne vieillit pas, ne souffre pas, n'éprouve aucun chagrin et ne meurt pas - quelque chose d'immortel, en fait. Et ils veulent le trouver. Pas seulement y croire, à travers leur foi ou par la lecture des textes sacrés, mais le voir en face. »
La méthode de yoga et de méditation qu’il enseignait permettait à l’élève d’atteindre les tréfonds de son âme et d’accéder, par-delà le bien et le mal, la naissance et la mort, à l’état de perfection – en réalité, la fin de la souffrance. Max sentit son cœur s’emballer. Encore une fois, ces mots lui semblèrent curieusement familiers, comme s’il les avait déjà entendus.
« Tu as déjà pratiqué le yoga, déclara-t-il. Ces postures n'en sont qu'une infime partie. Respirer avec attention, c'est du yoga. S'absorber entièrement dans son travail, c'est du yoga. Penser aux autres plutôt qu'à soi, c'est du yoga. Tout ce qui nous fait oublier notre modeste personne pour ne faire plus qu'un avec l'infini, c'est du yoga. »
Il incarnait complètement le cliché du parfait Américain ignorant et arrogant. Il croyait pouvoir jouer au montagnard parce qu'il avait escaladé plusieurs pics mineurs avec des guides professionnels. Après s'être posé quelques questions superficielles entre deux mugs de latte à la vanille, il avait commencé à se prendre pour un yogi.
Chaque nouvelle présence lui faisait entrevoir de plus en plus nettement ce qu'on éprouvait en mourant : le souvenir d'un assemblage de visages et de sourires, à qui on ferait des adieux sans avoir encore découvert la vérité éternelle.
Il ne désirait plus trouver la paix pour lui-même. Il voulait atteindre l'autre côté afin de revenir avec des réponses pour les autres Cette fois, il ne laisserait pas son corps, sa vie, disparaître avant d'avoir atteint son objectif.
S’il y a la naissance, la vieillesse, la souffrance, le chagrin et la mort, il doit exister quelque chose qui n’est pas né, ne vieillit pas, ne souffre pas, n’éprouve aucun chagrin et ne meurt pas – quelque chose d’immortel, en fait.