Le lendemain, assise face aux patients dans le bureau de consultation, tout d’un coup je comprends ce qu’ils ont vécu, cette bascule sans précédent, ce raz-de-marée qui a balayé en un instant tout ce que je pensais avoir compris de la vie. Rien n’a changé. Tout a changé. J’occupe toujours la même fonction mais il me semble que plus jamais je ne pourrai me glisser dans la peau du médecin que j’étais jusqu’alors, un médecin croyant que les connaissances et la mise en pratique de mesures préventives permettent d’éviter la maladie à coup sûr. Un médecin qui s’est appuyé sur les guidelines* et les études cliniques pour faire face à l’angoisse des patients. Un médecin qui essayait d’avoir réponse à tout. Mais que peut-on faire ou dire face à tant de détresse ?
Je ne pleure pas, je ne discute pas, je ne me révolte pas. Intérieurement, d'un côté, j'ai l'impression de chavirer, de ne plus être en mesure de faire un pas et de l'autre je sens une fors insoupçonnée surgir du tréfonds de mon être, une mobilisation générale sans précédent. Dans mon esprit, il n'y a pas d'espace pour le doute, je vais traverser tout cela et guérir.
À aucun moment depuis l'annonce du diagnostique, je n'ai eu le sentiment de ne pas avoir eu de chance. Par contre, j'ai choisi d'en faire une chance, un tremplin pour grandir.