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Citations de Kristelle Savoye (6)


J'ai appris à quel point nous sommes conditionnés par nos cultures. L'Afrique m'avait montré combien je suis française. Cela s'est confirmé ici, mais d'une autre manière. J'ai changé cette année, mais Yvan qui a partagé mes coups de pédale en Patagonie a raison en disant : "Même si nous changeons en faisant ce tour du monde, nous n'effacerons pas ce qui s'est construit en nous en vingt-cinq ans." J'ai voulu lui montrer le contraire, je sais aujourd'hui qu'il n'a pas tort. Nous évoluons, mais le passé nous façonne.
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Kristelle Savoye
J'ai appris à quel point nous sommes conditionnés par nos cultures. L'Afrique m'avait montré combien je suis française. Cela s'est confirmé ici, mais d'une autre manière. J'ai changé cette année, mais Yvan qui a partagé mes coups de pédales en Patagonie a raison en disant : "Même si nous changeons en faisant ce tour du monde, nous n'effacerons pas ce qui s'est construit en nous en vingt-cinq ans." J'ai voulu lui montrer le contraire, je sais aujourd'hui qu'il n'a pas tort. Nous évoluons mais le passé nous façonne.
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Après vingt-deux tampons « Chili » et « Argentine » sur mon passeport, la Bolivie m’ouvre sa frontière gratuitement. Tout de suite, la beauté des Boliviennes me subjugue, comme un retour à la tradition après ce Chili si américanisé. De grandes tresses noires nouées par un ruban se prolongent jusqu’aux fesses, des couches de jupes multicolores tourbillonnent au
vent, un teint brûlé reflète le soleil et les ans, un bébé sur le dos attaché d'un tissu bariolé dort en écoutant le monde, un chapeau rond complète le portrait au sourire chaleureux. Mais l’autre facette s’affiche aussi dès la frontière : des mères font la manche avec leurs petits dans les bras, des enfants marchant à peine quémandent, des hommes au visage amaigri
semblent désoeuvré par la vie… C'est impressionnant comme une ligne tracée sur une carte change la population. Plus de couleurs, plus de misère.
La descente sur La Paz s’avère grandiose en ce coucher de soleil. La Paz, La Paix, la capitale la plus haute du monde, s'étale dans une cuvette allant de 3600 mètres à 4100 mètres. Au centre trônent les buildings et les quartiers riches. Sur tous les flancs boueux et instables survivent les pauvres.
En Bolivie, l’Afrique et le Chili me rattrapent simultanément. Comme dans Dakar, je me mêle aux bus multicolores, aux taxis hurlant leur destination, les rues sont braillardes d’enseignes, bruyantes de voitures, de klaxons, les trottoirs sont bondés à toute heure de gens habillés à l'occidentale comme en habits traditionnels, des petits marchands de tout et
de rien hantent les ruelles. Je déguste dans la rue des festins de pommes de terre farcies, empanadas, purée de maïs sucrée tenue au chaud dans sa feuille, jus de fruit pressé devant moi, beignets, api (breuvage sucré, mi-soupe, mi-boisson à base de maïs). Je découvre les écrivains publics, assis sur une chaise, une table avec une machine à écrire devant eux.
L’hygiène, comme en Afrique, s’écrit autrement que dans mon éducation : des gens sans gêne s'arrêtent n’importe où et ils urinent, soulevant leur amas de jupes pour les femmes, ouvrant simplement leur braguette pour les hommes.
Comme au Chili, cireur de chaussures est un métier à part entière, à la différence qu’ici les hommes sont totalement encagoulés pour se protéger du cirage dont ils soignent les chaussures des passants. Même mes sandales attirent les propositions des cireurs. Souvent, cette tâche est exercée par de très jeunes enfants qui entre deux clients échangent des
passes de foot… instants d’enfance volés au temps, volés au travail.
Depuis sept mois que je pédale de par le monde, j'ai rencontré beaucoup d'enfants, de toutes les couleurs, de tous les milieux, tous plus beaux et attachants les uns que les autres. En Bolivie, je leur porte un regard particulier, peut-être parce qu’ils sont nombreux à être délaissés dans les rues. Je mesure toutes les disparités entre les enfants qui travaillent toute la journée, en cirant, en chantant dans les bus, en extrayant des minerais et ceux qui
sont scolarisés. Les enfants vivant en haillons et pieds nus à cinq mille mètres d’altitude côtoient ceux qui portent l’uniforme et la cravate de leur école. Les enfants léchant les emballages de sandwich trouvés dans des poubelles regardent les yeux éteints ceux qui avalent des gâteaux à la crème multicolore.
Et face à tous ces gens vivant à même le trottoir, je ne sais comment me comporter… ignorer, sourire, parler… ? Une vieille dame, peut-être plus usée par le travail et le soleil que par les années, pleure. Son regard se plonge dans le mien et ses larmes surgissent dans mes yeux. J’ai mal. Sommes-nous de la même espèce ? Moi et mon appareil-photos, moi et mes
habits, moi et ma dignité. Elle assise à terre, le regard inondé, les vêtements en chiffon.
Que lui offre la planète ? Elle m’a offert toutes ses beautés. Elle ne lui donne qu’un bout de bitume et de l’eau à faire jaillir de ses yeux. Ai-je honte de mes privilèges ? J’ai honte qu’elle n’en ait pas. Ses larmes coulent de mes yeux mais rien ne change. Elles sont des centaines ainsi dans les rues de Bolivie ; elles font partie du décor. Comme cette autre femme, handicapée des jambes. Depuis plusieurs jours que je suis par intermittence à La Paz, je la vois au même endroit, dans la même position. Aujourd’hui, au lieu d’être assise, elle
est couchée. Son visage semble collé au bitume. Est-elle morte ainsi à terre ? Je ne sais pas.
Je la regarde, j’ai envie d’agir, de la bouger, de la prendre dans mes bras. Mais comme tout le monde je passe à côté et je ne la touche même pas, je ne lui parle pas. Oui peut-être est-elle morte, là, dans l’indifférence générale d’un trottoir passant.
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Le lendemain à sept heures, mon petit déjeuner terminé, je m’installe dehors pour nettoyer mon vélo avant d’aller en classe. J’ai promis à Daoudo de l’aider encore aujourd’hui avant de reprendre ma route demain.
De là, je vois défiler des enfants, presque en file indienne, beaucoup portent des calebasses vides sur la tête. Puis j’aperçois l’enseignant dans le groupe. «Tiens, ils font une sortie scolaire aujourd’hui ; sûrement pour étudier les champs et les plantes », me dis-je. Et je rigole en pensant aux normes françaises d’un accompagnateur pour huit enfants et au recomptage incessant des élèves. Cet instituteur a cinq cents élèves, plus ou moins cent. Il
envoie un enfant me dire qu’ils vont aux champs.
Prête pour une leçon pratique, je délaisse mon vélo, prends cahier-stylo et pars m’immiscer dans cette file de fourmis colorées. Et là ! J’en vois qui repartent dans l’autre sens – celui de l’école – les calebasses pleines de maïs ! «Tiens, ils vont étudier le maïs en classe et ont besoin de beaucoup d’exemplaires, peut-être pour décortiquer et observer… ». Toujours
suivant mes fourmis, je me retrouve dans un champ. Chacun s’active : ceux qui cueillent, ceux qui entassent, ceux qui remplissent les calebasses, ceux qui font des aller-retour à l’école en une heure de trajet. La situation s’éclaircit par la bouche de Daoudo : non ce n’est pas une sortie pédagogique. Le directeur étant muté à Bamako cette année, il s’agit pour les enfants de récolter son hectare de maïs.
« C’est un cadeau pour son départ ?, questionnai-je interloquée.
- Non, c’est le champ du directeur, il faut qu’on s’en occupe.
- Ah… »
Les élèves enthousiastes rient et jouent entre eux tout en travaillant. La tâche avance. Des enfants de six à seize ans parcourent ainsi des kilomètres. Je pense aux miens qui se plaignaient quand je les faisais courir cinq minutes en cours d’éducation physique ! Je souris en avançant difficilement dans les champs avec mon pagne : qui se soucie ici de l’assurance
scolaire ? Pourtant dans ce terrain si caillouteux les blessures peuvent être nombreuses, sans parler des serpents…
Le maître vadrouille de groupe en groupe, supervisant plus ou moins l’ensemble. Tout s’organise aisément, sûrement par habitude. La file de fourmis besogneuses poursuit sa
mission. Chacun avance à son rythme, rien ne semble imposé, sous l’effet de l’émulation collective.
J’imagine le scandale, à la une de tous les médias français : « Un enseignant emploie ses élèves pour cultiver son champ ! » Je souris de ces rires d’enfants qui résonnent, de ce champ coloré de leurs habits multicolores. Quelle drôle de sortie pédagogique… j’ai tout à apprendre !
En fin d’après-midi, nous nous retrouvons tous dans la cour de l’école pour l’étape suivante : attacher les épis de maïs par deux et construire ainsi des sortes de guirlandes. Chacun se rend utile, tout en discutant avec son camarade. L’instituteur, de sa chaise, intervient pour faire diminuer le niveau sonore de temps en temps. Il me précise que c’est le directeur qui a
exigé ce « travail scolaire ». Il me demande qui s’occupe en France du maïs si ce ne sont pas les enfants. Je lui parle des tracteurs, des machines qui trient, qui égrènent. Il a autant de mal à suivre mes explications que moi à comprendre cette pseudo sortie pédagogique.
Je serais parent d’élèves ici, je garderais mes enfants chez moi pour aller cultiver mon propre champ plutôt que celui du directeur ! Je pose la question à Daoudo qui me répond que les élèves préfèrent travailler là tous ensemble plutôt qu’aux champs familiaux car « aux champs c’est plus dur qu’ici ».
Ces enfants savent ouvrir les épis, enlever certaines feuilles et attacher le tout comme les nôtres savent défaire l’emballage d’un bonbon.
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Je pédale jusqu’à une imposante bâtisse au grand portail, avec une petite conciergerie occupée par un gardien sénégalais. Dans la foule dense, la couleur blanche de mon visage détonne. Je me faufile jusqu’aux hautes grilles noires, pour que le gardien, de l’autre côté du portail, prenne le temps d’écouter mon histoire. Afin de m’autoriser à pénétrer dans
cette ambassade de France à Dakar, il doit informer le secrétariat par téléphone de ma présence. Au bout d’une heure l’intendance ne décroche toujours pas. Ma patience goûte le temps qui passe, laissant mes mains s’agripper aux barreaux pendant que Cerbère reste catégorique sur l’interdiction de s’introduire dans le lieu sacré. Le téléphone sonne
inexorablement dans le vide alors que la sonnerie résonne jusqu’au haut portail, s’évadant des proches fenêtres ferrées. Nous sommes pourtant en pleine matinée, trop tôt pour l’apéritif ou le café ! De nombreux Sénégalais campent là, à espérer des papiers, un visa pour ailleurs.
Mon coeur se sert d’être Française, de ce pays qui ferme ses frontières à l’Afrique, pendant que je savoure le Sénégal.
Au bout d’une heure et demie ma patience devient impatience et énervement…
malheureusement contre le gardien, mon seul interlocuteur. Ne puis-je point entrer, raconter mon périple à quelqu’un, laisser les coordonnées de mes proches ? Fidèle à son poste, il reste de marbre. Alors je change de tactique – certes pas la plus noble – en l’accablant : s’il m’arrive quoi que ce soit sur les routes de son pays, il en sera quelque part responsable, ma vie dépend donc indirectement de lui… Mes arguments semblent le convaincre car il me laisse enregistrer un message sur le répondeur du secrétariat. Je raconte brièvement mon histoire de jeune française partant seule en vélo pendant un an sur
les routes du monde. Mais je suis contrariée de ne laisser aucune trace écrite. Cette déclaration au consulat me semble primordiale… et si j’étais enlevée ? agressée ? accidentée ? À mes yeux de cycliste solitaire et exilée, l’ambassade devient désormais mon seul pays.
Finalement, après que je lui eus ardemment demandé, le vigile m’accorde de rédiger un mot. Sur une feuille de mon cahier arrachée pour l’occasion, je résume la situation de ma plus belle écriture, adressant le tout au secrétariat de l’ambassade. Quand je lui tends mon oeuvre manuscrite, il la refuse ! Il ne peut accepter un écrit non cacheté dans une enveloppe ! La situation devient de plus en plus burlesque. Bienvenue en Afrique !
Mon comportement habituellement stoïque s’emporte. Je n’ai pas d’enveloppe ! J’ai atterri au Sénégal il y a quelques heures ; mon premier réflexe en quittant l’aéroport a été d’enfourcher mon vélo fraîchement remonté des soutes de l’avion pour me déclarer à l’ambassade ; je ne suis même pas encore passée à la banque changer de l’argent ; j’ai encore moins pensé à me munir d’une enveloppe ! Son regard impuissant fixe le point noir de sa journée, il me dévisage. Exaspéré autant qu’amusé par ma détermination, il finit par me donner 20 cfa (0,03 €) pour que j’aille quérir une enveloppe chez le petit vendeur en face. En Afrique de l’Ouest, il y a partout des marchands de tout, sacré avantage ! J’achète une des trois enveloppes blanches posées sur
la table du commerçant, l’affaire se règle et je me sens d’emblée dans l’ambiance africaine.
Mon aventure commence là, sur ce sol rouge, dans la moiteur ambiante, par le remontage hâtif de mon vélo à l’aéroport, sous les regards interloqués des Africains me fixant, dans mon excitation empreinte d’appréhension. Aujourd’hui, en France, la rentrée scolaire fait la Une des médias, excite ou inquiète des millions d’écoliers et d’enseignants. Alors que mes
collègues et mes anciens élèves font leur cartable, je remplis mes quatre sacoches de mes affaires quotidiennes et de mes rêves.
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Kristelle Savoye
J’avais une année et des envies d’Afrique de l’Ouest et d’Amérique du Sud. Ensuite, je me laissais toute place à l’imprévu.
Serai-je tombée amoureuse d’un petit village africain ? J’aurais pu y rester six mois.
Je me suis laissée guider par les contacts que l’on me fournissait au fur et à mesure de mes rencontres. « J’ai un cousin dans tel village, vas le voir de ma part », « ce coin est magnifique », voilà ce qui a écrit mon itinéraire.
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