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Citation de Cielvariable


Sept heures du mat.

Qui peut bien avoir l’audace de tambouriner à ma porte aux aurores un jour férié ? En tout cas, il va m’entendre.

Encore assommé par le somnifère que j’ai avalé cette nuit, je me frotte les yeux pour chasser la vision de Chris sur le paillasson. Mais pas de doute, il est bien réel, en chair et en os et surtout en T-shirt malgré la température.

̶ Je voulais ramener des croissants mais ils ne prennent ni les bahts ni les yuans, à la boulangerie.

Il me tend un paquet de quoi, on ne saurait dire, à l’emballage orné d’étranges idéogrammes.

̶ Salut, frérot. Toi aussi, tu m’as manqué… je réponds en remarquant sa planche de surf appuyée contre le mur, derrière un sac de trek reprisé posé sur une énorme valise. Ça fait un bail, depuis… trois ans ?

Je l’assaille de questions qu’il balaie d’un sourire :

̶ Tu me fais un café ? J’ai sept heures de jet lag dans la gueule. Après, je te raconte.

Je rentre ses affaires restées sur le pas de la porte (le supplément pour l’excédent bagages a dû être salé) et fais couler deux expressos bien serrés pendant qu’il fait le tour du propriétaire. Tour rapide s’il en est, compte tenu de la taille de cette fichue mansarde.

̶ La classe ! On se croirait dans Un Américain à Paris.

̶ N’est-ce pas ? Ça valait le coup de se taper cinq ans d’études supérieures.

Chris ne semble pas saisir l’ironie et s’extasie devant la vue imprenable qu’offre le mini balcon de ma chambre sur le Marais. Cependant, un détail le chiffonne : où est passée la Tour Eiffel ?

̶ Pardon de te décevoir, c’est juste dans les films qu’elle est derrière chaque fenêtre. Viens boire ton café.

̶ Le premier digne de ce nom depuis des lustres ! Je peux rester quelques jours, Tom ?

̶ Fais comme chez toi.

Précision inutile, il a déjà commencé l’inventaire du frigo et des placards, pas très achalandés par les temps qui courent.

̶ T’as que du riz ? J’en ai bouffé pour dix ans, alors au petit déj… Je peux avoir des croissants ?

Chris dit donc Tom fait.

Pas grave. Il est revenu en vie et en bonne santé, on n’y croyait plus.

Je m’emmitoufle, dans un semi-coma descends les cinq étages (l’ascenseur n’est plus, paix à son âme) et me retrouve dans la rue glacée. La lumière jaune des réverbères se reflète sur les pavés humides. Avec un peu de chance, j’atteindrai la boulangerie avant d’avoir perdu tous mes orteils.

Dans la queue, juste devant moi, il y a ma nouvelle voisine, aussi mal fringuée que la veille, jean pré-troué trop large et caban d’homme.

̶ Salut, Jessica. Mon frère est là, tu viens petit-déjeuner avec nous ? Tu vas bien t’entendre avec lui, c’est un artiste, lui aussi. Prends ce que tu veux.

Elle me remercie, commande une baguette.

̶ Je voudrais aussi trois croissants et trois pains au chocolat, s’il-vous-plaît, je demande d’un ton obséquieux.

̶ Ce s’ra tout ? rugit la boulangère qui emballe nos achats de mauvaise grâce et nous les jette à la figure. Dix euros cinquante, et j’ai plus de monnaie. Au suivant !

Vive le service minimum. Et la politesse, connasse ? je pense tout bas.

̶̶ Merci, bonne journée… je dis tout haut en posant l’appoint sur le comptoir.

C’est qu’on m’a bien élevé, moi.

Jessica s’interpose :

̶ Non, on voudrait un peu d’amabilité, aussi. Ah, dommage, vous n’en avez plus. Et un sourire ? Non plus ? C’est trop demander ?
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